« Chuuuuut les filles, le film commence ! »
Alice augmenta le volume du téléviseur avant de s'asseoir en tailleur sur le sol, l'air excitée. Elle portait deux couettes ridicules, nouées avec des chouchous roses assorti à son pyjama. Marie, qui avait
exactement le même pyjama et la même coiffure qu'Alice, partageait visiblement l'euphorie de celle-ci et elle faisait montre de cette exubérance en criant (drôle de notion du "chuuut") tout en sautant sur le lit, alors qu'Artémis y était allongée. Elle se retourna et lui donna un coup de pied dans le tibia, ce qui la fit tomber.
« Héééé, tu es méchante ! »
« Rien à voir ! Tu m'énerves à sauter partout, c'est tout ! »
Marie s'assit en tailleur et fit une moue boudeuse.
« Roh. T'es pas marrante. »
La bande-son du film mit fin à la querelle. Alice se releva en vitesse pour éteindre les lumières puis retourna à sa place, les bras chargés de sachets de bonbons. Elle en donna un à chacune de ses copines -en réalité, il s'agissait de ses voisines, sinon leurs parents respectifs n'auraient jamais été d'accord pour qu'elles logent ailleurs- et commença à les engloutir.
Artémis n'était pas une fanatique des pyjama-parties, même si en réalité, c'était la première à laquelle elle participait. Le concept n'était pas encore vraiment ancré dans les mentalités, encore une sottise importée des Etats-Unis. Artémis n'était pas contre le fait d'aller dormir chez une bonne copine, mais maintenant il semblait incontournable de se mettre du vernis sur les doigts et sur les orteils (en multipliant les couleurs, criardes de préférence, sinon c'est pas drôle), de se faire des coiffures inqualifiables, de se goinfrer de marshmallows, de regarder un film d'amour et de parler de garçons -même si à cet âge-là, la connaissance que l'on peut avoir par rapport aux garçons est ridicule. Tant de caractéristiques qui faisaient qu'Artémis passait une soirée pourrie. Elle se retrouvait avec les ongles colorés en une kyrielle de couleurs qu'elle ne connaissait même pas et qu'elle devrait assumer jusqu'au moment où le vernis disparaitra, une couette semblable à un palmier sur le haut du crâne, le ventre plein à craquer d'aliments aussi diététique qu'un steak aux trois poivres, et le crâne douloureux après un débat de une heure et demi, accompagné par la compilation des tubes de France Gall tournant en boucle, sur "Est-ce que Louis a les dents du bas bien alignées car on ne les voit jamais ?" et "Qu'est-ce qui pousse Pierre à se ronger les ongles ?"... Louis et Pierre étant les seuls garçons de leur âge dans le quartier. Les seuls garçons du coin qu'Artémis connaissait en fait. Elle ne fréquentait pas en effet le même établissement scolaire que ses voisines et ne rentraient que pour les grandes vacances.
Mais les explications viendront plus tard.
Bref, malgré toutes ces horreurs, la soirée d'Artémis était sauvée par le film.