- Alors.. Wawira, qu'est-ce..
- Appelez-moi Wawè !
- Wawè, d'accord. Ca te plaît ?

Quelle question ! Bien sûr que ça lui plaisait. C'était.. extraordinaire ! Le Chemin de Traverse, qui aurait cru qu'un tel endroit existait à Londres. Même sa mère, qui passait ordinairement son temps à pester sur tout ce qui était londonien, du temps aux habitants, même elle ouvrait de grands yeux émerveillés sur les façades lumineuses, les habits étranges des passants, la magie.... La Magie ! La Sorcière qui les accompagnait, une certaine Madame Prewett, semblait heureuse de l'effet que leur faisait le lieu.

- Prewett... On sort les chiens ? Tu es payée pour au moins ?
- Nott... Quand ton humour redeviendra drôle, j'aurai peut-être envie de te répondre. En attendant épargne moi tes commentaires puants : tu n'impressionnes personne ici.

Et pour être honnête, non, il n'impressionnait ni la mère ni la fille, déjà aguerries aux marques de discriminations et qui se tenaient, le menton haut, les bras croisés et le regard hautain. Comme si c'étaient elles qui méprisaient l'homme en noir et au teint pâle qui venait d'apparaître. La gamine semblait la copie riquiqui et toute mince de l'originale bien en chair. Mais à part cela, les différences ne sautaient pas aux yeux. Elles se tenaient toutes deux bien campées sur leurs jambes, sereines. En façade seulement pour la mère : celle-ci n'aimait pas du tout le regard mauvais qui lui était lancé, ça puait la violence et la rancune tenace. Mais d'autres Sorciers observaient la scène, trop pour que le dénommé Nott se sente en terrain ami. Celui-ci renifla de dédain. Il tourna les talons sur un : "Tu regretteras de pas avoir fait plus attention un jour Prewett !".

La Sorcière croisa les bras à son tour, sans répondre. Mais l'air sûr qu'elle avait affiché tout du long de l'altercation disparut en même temps que Nott pour laisser place à une expression un peu inquiète.

- Je suis désolée pour ça.
- C'est rien. On a l'habitude. Les débuts en Angleterre... C'était pas facile.
- D'où venez-vous ?
- Mombasa. Au Kenya. Mais mon mari est anglais.
- Oh c'est merveilleux...

Wawira avait laissé les deux femmes passer devant et discuter de choses qu'elle connaissait déjà. Famille de quatre enfants, la seule fille qui avait toujours fait des choses étranges, passage de l'Afrique à L'Europe, difficultés pour se loger, pour travailler, Londres, la pluie, le froid, la pluie, le métro, les Londonniens... La petite fille, elle, n'avait d'attention que pour ce nouveau monde qui s'offrait à elle. Elle ne voulait pas en louper une miette comme si cela risquait de lui être retirer dans la minute. Ses yeux brillaient autant dans la boutique où elle essaya des uniformes que dans celles vendant les livres de cours. Mais le plus extraordinaire ce fut sans doute sa baguette !
Pourtant, elle n'avait pas oublié l'incident et les années suivantes ne l'y aideraient pas...


Let's get it on

Une demi-douzaine d'adolescentes se pressaient dans le compartiment du Poudlard Express, échangeant des nouvelles comme si elles ne s'étaient pas vues depuis des siècles. Le tourne-disque magique fut sorti, puis ce fut le tour d'un vinyle.
Marquant le début du morceau, Wawira frappa dans ses mains. Le mouvement de bras fit chanter les nombreux bracelets de toutes les couleurs qui lui remontaient sur les bras, aussi colorés que les vêtements qu'elle portait encore, aussi colorés que le fard sur ses paupières : à des lieues de l'ambiance de plus en plus délétère dans le monde des Sorciers, chez les Moldus en revanche, la mode jouait au carnaval.

"I've been really tryin', baby
Tryin' to hold back this feelin' for so long
And if you feel like I feel, baby !"

Elle chantait en même temps que Marvin Gaye,...

"Then come on, oh, come on
Whoo, let's get it on
Ah, babe, let's get it on "

…. exagérant les gestes et les expressions, le regard outrageusement langoureux, mais le sourire malicieux….

"Let's love, baby
Let's get it on, sugar
Let's get it on
Whoo-ooh-ooh !"

…..désignant ses amies qui riaient en retour, certaines rougissant des sous-entendus des paroles de la chanson, ….

"We're all sensitive people
With so much to give
Understand me, sugar
Since we got to be
Let's live !"


… d'autres, celles qui venaient du même monde, reprenaient les paroles qu'elles connaissaient.

"I love you ! " clamèrent-elles en cœur.

"There's nothin' wrong
With me lovin' you
Baby, no, no
And givin' yourself to me can never be wrong
If the love is true
Oh, babe, ooh, ooh "

Ca frappait dans les mains en rythme, ça balançait en ondulant de hanches et d'épaules déjà plus féminines que lorsqu'elles s'étaient quittées en juin dernier.

"Don't you know
How sweet and wonderful life can be?
Whoo-ooh
I'm askin' you, baby
To get it on with me
Ooh, ooh, ooh !!!"

OuOuOUh d'adolescentes ne cherchant même pas à chanter juste, mais juste à se faire plaisir.

"I ain't gonna worry, I ain't gonna push
Won't push you, baby
So come on, come on, come on, come on, come on, baby
Stop beatin' 'round the bush, hey "

Les airs sombres que certaines de ses amies arboraient un peu plus tôt avaient définitivement disparu. Wawira remercia silencieusement ses frères pour tous ces week-ends où ils avaient accepté de la laisser les accompagner dans les clubs londonniens, tous les disques vinyles qu'ils avaient accepté de la laisser emmener à Poudlard.

"Let's get it on, ooh, ooh
Let's get it on.. "

Elles connaissaient toutes le refrain désormais.

"You know what I'm talkin' 'bout
Come on, baby, hey, hey
Let your love come out
If you believe in love .. !"

Oubliées pour le moment les rumeurs sombres sur le Mage noir. Oubliée pour le moment l'arrivée prochaine de Durmstrang et Beauxbâtons, et les questionnements sur la façon dont ça pourrait bien se passer. Comment seraient les élèves ? Beauxbâtons enverrait-il de beaux garçons ? Des filles pas trop visiblement plus classes que les Anglaises ? Et Durmstrang : pas trop de brutes, pitié... Comment se répartiraient-ils tous dans leurs Maisons ?

"Let's get it on, ooh, ooh !
Let's get it on, baby !
This minute, oh yeah !
Let's get it on..
Please, please, get it on,
Hey, hey !!"

Le sujet reviendrait bien avant la fin du trajet, la chanson n'était qu'un interlude. On parlerait aussi des Serpentards qui semblaient empirer chaque année, et de la meilleure manière de les contrer. Elle, elle avait été une de leurs cibles dès le début. Et dès le début ça ne l'avait pas perturbée : elle venait d'un pays où l'on sortait tout juste d'une ségrégation poussée à l'extrême, arrivait dans un pays où la couleur de peau importait plus que la respectabilité et la dignité d'une personne. Elle vivait dans un milieu où la violence avait toujours été présente, plus ou moins visible, plus ou moins forte, en fond sonore où sous vos yeux.

"I know you know
What I've been dreamin' of
Don't you, baby?
My whole body is in love.
Whoo !"

Les Vert-Argent n'avaient rien de neuf pour impressionner. Et Wawira réagissait comme elle l'avait toujours fait : gardant ses distances quand on ne la cherchait pas, répondant par la moquerie et le rire quand on la provoquait. Dédramatiser : c'était le crédo de sa mère, c'était devenu le sien aussi. Exactement comme face aux Epouvantards. A force de tirer les choses par le eau, à force de sourire, on finissait par rendre la vie plus belle. Bien sûr qu'il ne fallait pas se laisser marcher sur les pieds : mais même un doigt d'honneur, même un coup de poing, même un sort pouvaient être envoyés avec le sourire. Il fallait la jouer finement d'ailleurs, parce qu'en face il n'y avait pas de quoi rire, ils avaient de quoi vous tirer des larmes, même. Pas toujours simple : mais pour elle c'était là que se jouait vraiment l'enjeu du conflit qui s'envenimait lentement à Poudlard. Si la peur gagnait, si l'anxiété, la méfiance l'emportaient, si on n'osait plus s'amuser et plaisanter, alors ils auraient été vaincus.
Et ça : pas question !!!

"I ain't gonna worry, no, I ain't gonna push
I won't push you, baby, whoo !
Come on, come on, come on, come on, come on, darlin'
Stop beatin' 'round the bush, hey !"

On parlerait aussi des nouveaux sorts de Wawira. La jeune fille était une élève moyenne, plutôt bonne sans génie la baguette à la main, catastrophique lorsqu'il s'agissait de manipulations précautionneuses comme en potion et en botanique, cours durant lesquels les professeurs restaient toujours sur leurs gardes qu'elle ne déclenche un nouveau désastre par effet domino. Elle était connue pour ça, traits que certains racistes voyaient comme une preuve qu'on ne pouvait pas naître moldu et faire de la magie comme les sorciers.

"Gonna get it on
Beggin' you, baby, I want to get it on
You don't have to worry that it's wrong
If the spirit moves you, let me groove you good
Let your love come down,
Oh, get it on, come on, baby !"

Mais elle était aussi connue pour autre chose : créer des sortilèges. Là elle excellait. Comme si elle peinait à s'adapter à la magie des autres, mais s'épanouissait à créer la sienne. La majorité du temps ce n'était que de petites choses, mais de petites choses qui avaient leur succès : l'année passée, toutes les filles avaient voulu apprendre son sort peignant les ongles de mille et une manières différentes, sans parler de celui qui vous permettait de vous épiler sans douleur. Quelques garçons avaient été très contents de découvrir le charme d'ambiance romantique qui tamisait la lumière, laissait deviner les rumeurs d'une musique douce et languide, embaumait l'air d'un parfum de rose : succès garanti auprès de celle que vous regardiez avec des yeux de merlan frit depuis la première année. Et puis il y avait quelques sorts très rares mais exceptionnels comme celui de jardin intérieur, un vrai jardin avec des plantes tout à fait exploitables, qui lui avait valu des compliments de la part de McGonagall et Slughorn.

"Do you know I mean it?
I've been sanctified
Hey, hey !
Girl, you give me good feelings, so good !"

Le paysage filait. Elle rentrait à La Maison ! Malgré tout l'amour qu'elle portait à sa famille, pour Wawira désormais, son monde c'était Poudlard, la Magie. Devoir se cacher pour s'entraîner pendant l'été avait été une plaie. Devoir retrouver les réflexes d'une vie sans baguette loin d'être simple. Pourtant l'année allait être dure : les BUSEs étaient en vue. Bah ! Il y avait pire que des examens, pas vrai ?

"Nothin' wrong with love
If you want to love me
Just let yourself go
Oh, baby
Let's get it on "

Et la musique s'acheva sur un "Whoohooh !" généreux et général dans le compartiment. Les coups frappés dans celui d'à-côté firent pouffer les jeunes filles. Mais les gêneurs ne se montrèrent pas. Hey ! Mine de rien, un groupe de jeunes nanas n'ayant pas leurs langues dans leur poche, la vanne facile, solidaires et remontées à bloc, ce n'était pas à affronter au hasard. Car c'était un des autres traits qui lui avaient été vite attribués, qui avait eu le mérite d'écarter les plus stupides de ceux qui prétendaient être supérieurs : Wawira avait un don certain pour manier le plat de la langue, répondant du tac-au-tac, choisissant les mots pour faire rire tous les témoins aux dépens de qui l'avait provoqué. Elle ne connaissait aucun Serpentard qui ait jamais apprécié devenir la cible de rires généralisés. C'était risqué, parce qu'ils avaient toujours une revanche à prendre. Et en même temps, qu'elle réagisse ou pas, ils s'en prendraient à elle... Alors à quoi bon se taire ?
Et alors que s'égrenaient les premières notes du morceau suivant, un I heard it through the grapevine qui vous funkait les veines, les conversations reprirent, plus légères, joyeuses.
Le calme avant la tempête ?