1st Chapter
Ils entendaient le père hurler, tempêter, tournoyer en long, en large et en travers dans la pièce d'à côté. Chaque fois qu'une de ses tirades furieuses touchait à sa fin, les deux enfants pouvaient percevoir le persiflage venimeux de leur mère. L'homme n'en criait que plus fort. Rabastan observait d'un air presque éteint les filets de nuages grisâtres qui paressaient au-delà de la fenêtre, échappés d'une tempête lointaine. Assis sur l'une des deux chaises placées au centre de l'entre-chambre du bureau paternel, ses mains étaient profondément enfoncées dans ses poches, les pieds dans le vide. Il dégageait une impression trompeuse d'ennui profond, étant en fait tout à sa répétition de la scène qu'il jouerait prochainement aux deux adultes en conflit derrière la porte. Dès que les voix s'éteignirent et des bruits de pas venant dans leur direction, le deuxième garçon, plus vieux rejoignit sa propre chaise en deux souples foulées.
La porte s'ouvrit sur un sorcier élégant, l'œil et le cheveux sombre, l'air furieux. Derrière lui venait une femme grande et glaciale qui ne réservait présentement sa colère qu'à son époux. Comme dans de nombreuses familles de Sang-Pur, le mariage de Mr et Mrs Lestrange Sr avait été arrangé et nullement le fruit de sentiments profonds. Lui était issu d'une famille à la réputation sulfureuse et on avait cru, bien qu'il fût allé à Serdaigle plutôt qu'à Serpentard, qu'il continuerait dans la même voie. Mais au contraire de son aîné, celui qui allait devenir le père de Rodolphus et Rabastan Lestrange, s'était révélé affligé de ce que sa femme considérait comme une tare inexcusable : la peur de la Magie Noire. En fait, n'était-ce son ambition et son orgueil écrasant d'être un représentant des Nobles Familles d'Angleterre, ce Lestrange-là était un sorcier bien sous tous rapports, ayant réussi au mieux sa carrière au sein du Ministère, respectueux des lois et des autres. Moldus compris… Sans être d'un altruisme malvenu, il ne nuisait à personne si on ne lui ouvrait pas d'abord les hostilités.
Elle, c'était autre chose. Issue d'une famille traditionaliste, elle considérait son mari comme faible. Sa belle-sœur, Oriana Lestrange partageait son avis et à elles-deux, elles avaient entrepris d'enseigner aux deux enfants dès leur plus jeune âge, les rudiments des sombres arcanes de la magie. Il ne s'était agi que de faire enrager le père de famille. De toutes façons ses fils étaient trop jeunes pour se servir de baguette. Mais les deux garçons paraissaient avoir des prédispositions car contrairement à des enfants, normaux, ils ne montrèrent jamais la moindre répulsion face à l'évocation de certaines pratiques. Au contraire, ils paraissaient… curieux. Du moins lorsqu'ils étaient dans la demeure familiale, passant la majeure partie de leur temps ensemble dehors ou à l'école moldue où leur père avait exigé qu'ils fassent leurs études scolaires primaires. Oh pas une de ces écoles publiques surchargées. Non une stricte et privée. Mais une école moldue tout de même. Sans doute comptait-il ainsi leur enseigner la tolérance et les voir se lier d'amitié avec de jeunes Moldus. Cela avait lamentablement échoué semblait-il. Et c'était bien la raison de la dispute et de la convocation de Rodolphus et Rabastan ce jour-là.
Lestrange Sr- J'attends des explications !
L'exigence du père était sans appel, alors que ses fils se tenaient bien droit face à lui. D'un côté le plus jeune, toujours l'air peu concerné, et de l'autre, l'aîné, ses yeux clairs seulement animés d'une surprise polie.
Rodolphus - A quel sujet, père ?
L. Sr – Ne te moque pas de moi, jeune homme ! Le directeur de l'école a appelé. Le petit Sanders a disparu. J'ai vu également le commissaire de police et je sais qu'ils ont interrogé tous ses camarades, vous deux compris.
Rd – C'est vrai, père.
L. Sr – Et ?
Rd – Et ?
L. Sr – Assez joué, Rodolphus ! Je sais que vous vous êtes disputés avec lui, toi et Rabastan.
Rd – Mais c'est lui qui nous a provoqué, père. Il a dit que nous et notre famille étions des monstres et… qu'il allait nous apprendre.. Il n'a pas dit quoi.
Le père serra violemment les mâchoires et même la mère ressentit un léger malaise face au ton égal et trop calme de leur fils. Le deuxième n'était pas mieux, on devinait un léger sourire de satisfaction dissimulé à grand peine par ses cheveux voilant son visage baissé vers ses chaussures.
Rd – Alors c'est vrai, nous nous sommes.. disputés avec lui, et nous lui avons fait un peu peur. On ne pouvait pas le laisser insulter notre famille, n'est-ce pas ?
L. Sr – Un peu peur ? Cela fait des années que le directeur et vos instituteurs se plaignent. Il semblerait que vous fassiez "un peu peur" à tous les élèves. … Tu as perdu ta langue ?
Rd – Non. Mais, je crois qu'ils ont peur parce que nous ne sommes pas comme eux. Je n'y peux rien. J'essaye d'aider parfois pourtant.
L. Sr – Oui… Même le directeur doit admettre que vous vous conduisez bien. Malgré la méfiance des autres enfants. Mais le directeur ne sait pas tout. Vous rappelez-vous l'épisode des jumelles Eddings ?
Cette fois c'était flagrant, Rabastan ne retenait qu'à grand peine un sourire comme on en a à l'évocation d'un bon souvenir. Même Rodolphus eut du mal à cacher le plaisir que lui rappelaient ces quelques mots : les commissures de ses lèvres se crispèrent brièvement mais il se reprit rapidement.
Rd – Mais nous nous sommes excusés. Et nous ne les avions même pas forcées.
L. Sr – Ca ne les a pas empêchées de se retrouver à l'hôpital. Elles auraient pu mourir si je ne vous avais pas vus sur la falaise avec ces maudits parapluies. Jamais je n'aurais cru que vous seriez assez mauvais pour leur faire croire qu'elles s'envoleraient avec. Maintenant, jeunes hommes, dites-moi où se trouve le jeune Sanders immédiatement ou je vous assure que vous allez le regretter.
Rd- Je ne sais pas. Je le jure.
L. Sr – Rabastan ?
Rabastan – Il est rentré avec ses copains de leur côté. Et nous sommes rentrés à la maison. Demandez à Nosy et Hearingz : ils nous ont vus rentrer à l'heure. Après nous avons goûté, fait nos devoirs et tout… Puis c'était le dîner et ensuite nous sommes allés nous coucher.
Le père ressentit une boule dans sa gorge qui n'était pas due qu'à la colère. Cette façon d'étaler les faits était pour lui la preuve la plus évidente que ses fils avaient quelque chose à voir avec la disparition du gamin. Mais le pire, c'était qu'en dépit de leur jeune âge ils avaient pensé à se trouver un alibi. Alibi que Rabastan avait soigneusement développé comme s'il récitait l'une de ses leçons. Le même ton que le petit garçon utilisait lorsque son père lui demandait d'énumérer les principes et précautions d'une chasse ou d'une pêche réussie. Rares moments de grâce entre les enfants et leur géniteur. Et même cela... Ils demandaient de moins en moins, Rodolphus se chargeant d'emmener et d'instruire son frère.
D'ailleurs comment s'y étaient-ils pris pour faire disparaître le petit Sanders et ce qu'ils avaient fait exactement restaient toujours un mystère. Rien n'y faisait, aussi horrible que fut la constatation, Lestrange sr était sûr et certain que ses enfants étaient coupables et il eut soudain l'impression immonde d'être le père de deux monstres.
L. Sr – Tu peux continuer à mentir jeune homme. Je sais que c'est vous. Et vous serez punis jusqu'à que vous finissiez par avouer ce que vous avez fait et que vous regrettiez vos actes.
Rb – Ce n'est pas juste !
Le sourire de Rabastan avait disparu pour laisser place à une expression de fureur mauvaise assez inquiétante chez un enfant aussi jeune. Sa mère se fit la réflexion qu'elle comprenait que les autres enfants se méfiaient de lui, rien que le flamboiement de ses yeux était inquiétant.
Mrs Lestrange – Non ce n'est pas juste mon cher. On ne punit pas sur des suppositions. Ne rejetez pas sur vos fils la dure journée que vous venez de passer. Tout cela ne fait que prouver ce que je vous avais dit : les Sorciers ne devraient pas se mêler aux Moldus, rien de bon ne peut en ressortir. A défaut de suivre les conseils de votre épouse, vous pourriez suivre ceux de votre frère, ou de votre sœur.
Lestrange Sr vit dans les yeux de sa femme qu'elle soutiendrait ses fils mordicus. Sa journée avait été éprouvante c'était vrai, il ne se sentait plus l'énergie de tenir tête à cette épouse distante. Sans parler de l'évocation qu'elle venait de faire : sa sœur, Oriana, c'était déjà un fardeau bien difficile à porter. Mais son frère..... Depuis sa sortie de Poudlard, il avait rarement été présent, voyageant, noircissant la réputation de leur famille dans le sillage d'un mage noir dont on n'entendait encore que des rumeurs.
L. Sr – Bien ! Très bien ! Laissez-leur donc croire que tout leur est permis ! Je finirai bien par savoir le fin mot de l'histoire. Mais en attendant je ne veux plus voir ma sœur chez nous. Son influence sur eux est néfaste, je suis certain qu'elle n'est pas pour rien dans leurs mauvaises relations avec leurs camarades.
Il s'apprêta alors à quitter la pièce mais ressentit soudainement un abattement le prendre tout entier. Dans les trois paires d'yeux qui le fixaient il lisait le même mot qui lui était adressé : faible ! Sa femme l'exprimait avec mépris, Rodolphus avec dédain et satisfaction, Rabastan avec dégoût et rancune. Cette hostilité familiale le pousserait à boire plus que de raison le soir-même. Le début d'une longue suite de bouteilles…
Ce fut sûrement cette reddition qui l'empêcha de s'étonner que sa femme ne se battit pas plus pour exiger qu'Oriana ne fut pas bannie de leur demeure. En fait, l'expression et l'attitude de ses fils avaient réussi à déranger suffisamment leur mère pour qu'elle finisse par se demander si elle et sa belle-sœur n'avaient pas été trop loin. Cela n'avait eu pour but que d'agacer son époux, d'instruire ses fils. Certes elle avait été une fervente partisane de Grindelwald. Mais une partisane d'opinions, de mots et de pensées. Elle tenait trop à son statut pour le risquer en agissant. Elle commençait d'avoir peur que ses enfants n'aillent trop loin s'ils continuaient d'écouter leur tante. Pas qu'elle trouvât ces actes horribles, elle craignait simplement qu'ils finissent par se faire prendre. Cependant elle aimait trop ses fils pour être capable de se trouver du côté de qui que ce soit qui leur serait hostile. Malgré qu'elle continuerait dans les années suivantes à les élever durement, elle les admirait déjà pour agir comme elle ne l'avait jamais osé et ne l'oserait jamais.
2nd Chapter
Il se rappelait les cahots de la route qui les secouaient, et les tintements métalliques de tout l'attirail dont ils affublaient son père. L'odeur du sang et de l'alcool saturait l'habitacle. Mais le pire c'était les bruits électroniques censés informer de l'état de l'homme en train de mourir dans cette ambulance filant grand train vers l'hôpital le plus proche.
Il y avait eu les couloirs glauques trop éclairés, blanc passé. L'image brève de son père percé de tuyaux, un conduit dans la gorge. Les visages étrangers, presque tous masqués de protections antiseptiques. Certains se penchaient vers lui avec des sourires trop marqués, lui susurrant des mots se voulant réconfortants sur un ton laissant entendre qu'ils le prenaient pour un débile ou un gosse de trois ans. Des menteurs. Le père était mort.
- Vous ont-ils cru ?
La voix grave et froide qui venait de poser cette question à sa mère, c'était celle de son oncle, Decius Lestrange.
- Oui. Quelques personnes au Ministère sont au courant, bien sûr. Ils ont fait leur enquête mais... Ils comprennent, ils confirmeront notre version auprès de la Gazette et du monde.
Rabastan lui n'avait d'yeux que pour son oncle. Cet homme dégageait une aura dangereuse et fascinante. D'assurance.
Le souvenir de cette nuit qui avait vu la mort de son géniteur s'estompaient : sa mère excédée qui avait envoyé son fils chercher son époux dans les troquets de Bamburgh, le père qui était complètement saoul quand il l'avait trouvé, le père qui s'était battu sans raison intelligible avec son voisin, le père qui avait été blessé par un tesson de bouteille. Une honte pour la famille qui avait préféré inventer un guet-apens de quelques Moldus contre un Sorcier, qui avait résisté héroïquement mais submergé par le nombre et la surprise, avait succombé.
Les Moldus avaient dit que la blessure et le haut degré d'alcoolémie avaient eu raison de lui.
Rabastan estimait lui que c'était les Moldus qui l'avaient tué. Sans le vouloir peut-être. Mais là où quelques sorts auraient pu sauver son géniteur, ils avaient déployé un attirail qu'il aurait plutôt imaginé à des fins de torture. Ils les avaient utilisés en toute bonne foi. Ces gens étaient malades, ils étaient cinglés.
- Et tu as confirmé cette version ?
Cette fois la question lui était adressée.
Rb- Bien sûr mon oncle.
Dc Lstrg – Lorsque ton frère viendra pour les funérailles, tu lui mentiras à lui aussi. Ce sera mieux pour lui.
Rb- Oui mon oncle.
Dc Lstrg – Jure-le.
Rb – Je le jure.
Decius s'interrompit brièvement, se caressant songeusement le menton en observant son neveu, le regard scrutateur.
Dc Lstrg – C'est donc à moi que revient la prise en charge de votre éducation à toi et ton frère. Et ce n'est pas une mince affaire considérant les graves erreurs qu'a commises mon frère.
Decius lança un regard aigu à sa belle-sœur qui ne répondit qu'en rougissant et détournant les yeux.
Dc Lstrg – Pour commencer, tu ne remettras plus jamais les pieds dans cette école de Moldus, est-ce clair ?
Rb – Merci mon oncle !
L'adulte avait visiblement été pris de court par cette réponse sincère et enthousiaste de la part d'un petit garçon qu'il avait jugé probablement pourri par son éducation, probablement définitivement malgré son tout jeune âge. Encore qu'à sept ans on pouvait encore en faire quelque chose. Decius ne put retenir un sourire sinueux. Finalement, il se pourrait bien qu'on puisse corriger les errances du père par la rectitude de ses fils, et l'esprit familial serait préservé.
Et c'est ainsi que le cadet de la famille s'était retrouvé paradoxalement dans le rôle du petit prince désigné de la lignée, bénéficiant de nouveaux précepteurs comme des leçons particulières de Decius Lestrange, autant que ses obligations auprès de son maître, le lui permettaient. Son frère avait été écarté de manière tacite par les adultes, leur oncle semblant penser que Rodolphus avait trop subi la mauvaise influence paternelle et ne cherchant pas à vérifier si cela s'avérait vrai ou pas. Leur mère et leur tante s'étaient alignées sur cette attitude. Mais Rabastan ne semblait pas avoir été contaminé par ces soupçons. Au contraire, le garçon admirait trop son frère et éprouvait trop le besoin d'entretenir leur complicité première pour succomber à la tentation de jouer d'arrogance et d'airs supérieurs avec son aîné. Tout ce qu'il apprenait et obtenait, il tâchait de les transmettre par hibou interposé, ou de vive voix lors des vacances que Rodolphus passait au manoir familial. C'est ainsi aussi qu'il en apprit plus au sujet de ce Lord Voldemort, ne perdant pas une miette de ce que son oncle lui confiait, pour les partager aussitôt avec son frère. Lord Voldemort, pour l'un comme pour l'autre, ce mage noir symbolisait toutes leurs valeurs et leurs aspirations, la clé qui permettrait à leurs familles de retrouver le statut de seigneurs qui leur était dû, de ne plus être obligé de subir les valeurs du monde moldu qui s'infiltraient pernicieusement par les enfants qu'ils envoyaient à Poudlard, de renverser la tendance qui avait poussé le monde magique à se cacher, comme s'il y avait à avoir honte ou peur de ces êtres inférieurs. Un Seigneur qui ne craignait pas d'utiliser les arts les plus sombres que leur offrait la magie. Un Seigneur qui ne protégeait pas les faibles, n'encourageait pas la médiocrité... Le sujet passionnait le jeune sorcier qui rêvait déjà au nouveau monde qui naîtrait de la baguette du Lord. Ce ne serait pas sans sacrifice, mais il n'y a pas de victoire sans guerre, ni de guerre sans perte. Et tant mieux ! Car oui, la violence que les autres enfants avaient déjà perçue chez les deux frères lorsqu'ils étaient à l'école ne s'était pas éteinte.
3rd Chapter
- Alors Mike ? Pourquoi tu hésites ? Tu as peur ?
- Non, non bien sûr que non. C'est juste...
Rabastan haussa un sourcil faussement surpris face au malaise du Poufsouffle. Mike Deetland, longtemps connu pour sa timidité maladive, qui avait récemment gagné en assurance et même en agressivité, alors qu'on le voyait de plus en plus en compagnie de Lestrange. Mais présentement en train de suer à grosses gouttes, le visage pâle et l'air égaré.
Mike – Il y est pour rien lui..
Le petit blond fit un signe de menton vers le chat stupéfixé. Rabastan sourit sans dissimuler son ironie.
Rb – Et alors ? Tu préfères jeter ton premier Doloris sur Digory ? Ca se comprend, bien sûr, après la façon dont il t'a traité l'autre jour. Mais les risques ne sont pas les mêmes. Si on réfléchit bien, on pourrait sûrement le coincer. Mais ça se verra qu'il a été.. un peu maltraité. Ce ne sera pas difficile de remonter jusqu'à toi. Tandis que son chat... Tout le monde se doutera que c'est toi, et c'est le but. Tu veux te faire respecter, n'est-ce pas ? Mais personne ne pourra le prouver, personne ne se donnera la peine de chercher des preuves..
Mk – Je sais... Je sais mais... Il y a sûrement un autre moyen ?
Rb – Toujours !
Mike eut l'air soulagé mais ce ne fut que de courte durée face à la fine lame aiguisée que Lestrange lui tendit. Le Poufsouffle pâlit plus encore. L'autre Serpentard, détournant un instant son attention du guet qu'il faisait à la porte de la salle vide, émit un reniflement dédaigneux. Pour Deetland, le silence nocturne paraissait plus oppressant que jamais.
Rb – Prends-la !
Sans bien réaliser comment, Mike se retrouva avec l'arme entre les mains.
- Allez vas-y, l'encouragea Lestrange d'une voix charmeuse. Imagine Digory. Imagine sa tête demain, et ce qu'il pensera. Et les autres. Un avertissement sur ce que tu es capable de faire si on te cherche des crosses.
La main du Poufsouffle s'abaissa doucement. La lame toucha le pelage et le chat frémit. Mike eut un mouvement de recul stoppé par la main de Rabastan qui lui maintint fermement le poignet.
Rb – Alors Mike ? Quel est le problème ? T'as pas le cran ? Tu serais pas comme tous ces blaireaux de ta maison, hein ? Lâche, médiocre, pleurnicheur... Tu n'es pas comme ça, pas vrai ? Je vais t'aider.
Mike n'arrivait plus à détacher son regard de celui qu'il avait cru être son ami. Où était l'expression chaleureuse, l'arrogance complice, l'air de soutien face aux moqueries des plus irritants des Gryffondors, au mépris des plus insolents Serpentards ? Il ne voyait plus qu'un sourire d'anticipation, aussi venimeux que ses paroles, un regard où brillait une cruauté joyeuse, ses prunelles trop claires d'une dureté métallique. Sans avertir, Rabastan imprima une secousse à son bras et Mike sentit la lame aiguisée comme un rasoir s'enfoncer comme dans du beurre dans... Il eut un haut-le-cœur, apparemment visible parce que Rabastan le relâcha avec un mouvement de recul méfiant.
- Hey v'là le concierge !, souffla l'autre Serpentard.
En moins de deux Mike se trouva plaqué derrière une grande armoire avec les deux autres garçons. Les deux Serpentards tenaient leurs baguettes prêtes et Deetland refusait désormais d'imaginer ce qu'ils seraient éventuellement capables de faire pour ne pas se faire prendre. Le concierge ne jeta qu'un coup d'œil rapide dans la salle toujours ouverte. Personne ne prêtait attention aux portes ouvertes, tout le monde pensait que qui que ce soit se trouverait hors des dortoirs à une heure pareille prendrait au moins la précaution de se dissimuler derrière une porte.
Rb - Tu dois finir maintenant.
Une fois de plus le Poufsouffle n'avait pas réalisé que la situation avait changé. Son regard allait et venait du chat à la respiration haletante au jeune Serpentard de cinquième année dont la baguette était dorénavant pointée vers lui.
Mk – Non.
Il ne se rendit pas tout à fait compte du ton suppliant avec lequel il avait refusé, ni du second reniflement méprisant que cela avait provoqué chez leur guetteur. En revanche il sentit honteusement des larmes couler de ses yeux. Par Merlin, il avait véritablement cru trouver des amis en la personne de ces deux Serpentards. Il n'avait fièrement tenu aucun compte des avertissements des condisciples de sa propre Maison. Il avait été ravi de pouvoir s'afficher au côté d'un être aussi assuré qu'un Rabastan Lestrange, un aristocrate à la famille reconnue. Il s'était fait avoir par ses discours charmeurs, ses discours sur un monde où, quand on serait de sang pur comme Deetland, plus personne n'oserait vous regarder de haut. Il s'était senti grisé par l'impression de puissance qui avait accompagné sa "rébellion", les quelques règles brisées. Mais tout cela allait trop loin. Ce n'était qu'un chat, s'il y arrivait, s'il faisait ce qu'on attendait de lui, il ne perdrait pas tout ce qu'il avait gagné ces derniers mois d'une fréquentation aussi dangereuse. Seulement voilà, il n'y arrivait pas.
Rb – Tu ne vaux vraiment pas mieux que les autres, tout compte fait. T'as pas le cran. Tttt. Je vais te rendre un dernier service. Donne-moi ta baguette.
La voix était calme, sans la moindre trace de surprise ou de déception. Comme si le Serpentard avait toujours su que Deetland ne serait pas capable d'user de magie noire. C'était peut-être pire encore que le contenu des paroles. Mike abdiqua, il se sépara de sa baguette presque avec soulagement.
De ce qui suivit, il n'eut jamais qu'un souvenir confus. Les jours d'après lui semblaient flous. Pourtant la stratégie avait eu de l'effet. L'animal avait été trouvé, chacun avait fait des suppositions et il était aisé de lire de la méfiance dans nombre de regards que lui adressaient les autres élèves, surtout les plus jeunes. Digory l'avait un peu secoué, certes, mais avec circonspection. De toutes manières Deetland l'avait à peine senti. Dans un premier temps, Lestrange et ses comparses avaient continué de faire comme si de rien n'était, encore que la complicité n'était plus affichée qu'en public. Et puis lentement il s'était retrouvé seul. D'un côté ceux qui le pensaient un monstre cruel, de l'autre ceux qui le méprisaient. Lui ne pouvait toujours pas imaginer raconter ce qui s'était passé ce soir-là. Il n'en était même pas sûr lui-même ; de plus il restait trop loyal. Et il avait peur.
A la fin des vacances suivantes, Deetland refusa de retourner à Poudlard.
- J'ai vérifié : il n'est pas dans le train. Pas de petit Pouffy cette année pour nous lécher les pompes..
Le Serpentard qui venait de lâcher cette phrase en s'asseyant dans le compartiment où se trouvait Rabastan, était précisément celui qui avait fait le guet ce fameux soir.
Un sourire en coin anima la trompeuse gueule d'ange de Lestrange. Cependant on aurait eu tort de croire qu'il était pleinement satisfait du petit jeu auquel il s'était prêté par distraction et curiosité avec Deetland. Certes ça avait été amusant, mais... Pendant ce temps, son frère et les autres Mangemorts agissaient réellement. Bientôt, il les rejoindrait. En attendant il fourbissait ses armes.