Sujet: Un cadeau innatendu pour un ancien ami ♣ Mer 2 Jan - 22:19
J'ai eu envie de te faire un cadeau hors animation de Noël alors le voici. Il n'est pas aussi joyeux que le laisse entendre le thème de Noël mais j'étais inspirée Joyeuses fêtes <3
Have Yourself
A Merry Little Christmas
POUR LEROY
Noël n’était pas ma fête préférée. Loin de là. J’avais toujours détesté ce sapin si bien décoré, ces lumières toujours trop scintillantes, ces mystérieux paquets si bien emballés et entourés de ruban rouge et or, et le pire…cette ambiance chaleureuse tournée vers les surprises et les effusions d’affection. Du moins, dans les autres foyers…Le mien, d’ordinaire froid et peu convivial restait…froid et peu convivial. Rien ne changeait durant les fêtes, si bien que la différence tenait à une seule et unique chose : une montée de déception plus douloureuse que les autres jours. Comment ne pas détester Noël lorsque les cadeaux ne sont destinés qu’à votre frère, et que son visage réjouit vous nargue sans cesse, brandissant ainsi les trésors découverts au pied de son lit, à défaut d’avoir un sapin ? Se voir refuser une chose, ne vous fait d’habitude que la désirer encore plus… mais dans ce cas précis, Noël était devenu un rêve stupide et décevant que je tâchais toujours de mépriser. Ce qui n’impliquait pas un grand changement dans mon attitude, bien que ma froideur augmentait au fur et à mesure que la date cruciale approchait. Certains s’étonnaient de ne pas me voir sauter et fanfaronner à l’annonce des fameux cadeaux supposés apparaître à l’aube du 25 décembre, moi qui si souvent avait souligné la valeur des présents échangés lors des fêtes ou autres jours de l’année offrant l’excuse officielle de faire plaisir à ses proches. Mais malgré un fort penchant pour l’hystérie en période des anniversaires – surtout du mien -, Noël ne déclenchait chez moi ni joie, ni surprise. Oh, évidemment il y avait toujours un imbécile pour m’offrir quelque chose que je décidais de jeter deux jours après. A bien y réfléchir, Narcissa était bien la seule à penser à m’offrir quelque chose. Il ne fallait pas compter sur ma famille, et les cadeaux envoyés par mon père durant mon enfance n’étaient jamais arrivés jusqu’à moi, interceptés par ma mère. Mon oncle était trop loin et trop peu familier pour en offrir – avec le temps, j’avais compris que lui aussi détestait Noël. Mon frère…n’en parlons pas. Ma seule véritable amie étant Cissa, il semblait évident que mon sapin invisible ne s’écroulerait pas sous les présents. Bien sûr, depuis que Rabastan et moi étions ensemble, j’avais droit à un cadeau de sa part. Mais tout cela était bien loin de l’image de Noël que mon esprit avait forgé. Avec le temps, il l’avait embelli, plaçant mes exigences bien trop hautes pour que ce soit réaliste. Pourtant, une autre personne te faisait des cadeaux…me souffla une petite voix intérieure. Je chassai immédiatement le visage de celui qui autrefois avait été mon ami. Je ne voulais plus de ces souvenirs, je voulais les effacer, et les remplacer par d’autres. Je n’avais plus besoin de lui ! Leroy avait croisé ma route, et j’avais croisé la sienne. Tout se résumait ainsi. Notre amitié n’était plus à présent qu’une infime poussière balayée par le vent, coincée dans un coin, et destinée à disparaître complètement. Je me rappelais encore des mots que je lui avais lancé « Nos chemins ne se croiseront plus Leroy ...ce sera la dernière fois que je t'adresse la parole. » Avais-je été dure ? Avais-je commis l’irréparable erreur de le rayer de ma liste pour toujours ? « Je ne veux, et ne voudrais jamais plus, avoir quelque chose à voir avec toi ; nous ne nous parlerons plus jamais, et lorsque je te croiserai dans un couloir, ou à un cours : je t'ignorerai totalement. A vrai dire, ton existence n'a plus aucune espèce d'importance pour moi... A mes yeux, tu es mort. » Mais il l’avait mérité. Il le savait, non ? Moi je le savais. C’était sa faute tout ça, tout ce qui était arrivé. S’il n’avait pas fui comme un trouillard, s’il ne m’avait pas laissée derrière lui comme un vieux tas de chiffons inutiles et sales, tout aurait été différent. Qui avais-je d’autre à l’époque à part lui ? Personne. Leroy avait été le seul à prendre un tant soit peu soin de moi. Alors…de deux nous étions passés à un. Moi. Toute seule ; abandonnée de tous, acculée dans la peur et la solitude, au fond d’un trou noir et profond. Je me souvenais avoir attendu son retour. Folle d’espoir et d’illusions, j’avais guetté sa voix, le bruit de ses pas, l’odeur de son tabac. Mais rien, toujours rien, et encore rien. Personne n’était venu. Mon ami n’avait pas fait demi-tour. Il m’avait oubliée, et laissée avec moi-même. J’étais restée prostrée, cachée, recroquevillée sur moi-même en attendant que l’on me trouve, que l’on m’aide. Une main tendue pour un être désespéré et abandonné. Mais la main qui se tendit ne fut pas celle d’un ami. Tentatrice, puissante et détestable elle m’avait arraché à ma douleur, m’avait privé de larmes et de remords, sectionné la partie si aimante, tranché dans le vif la faiblesse dégoulinante, et enfin…cette même main, cette poigne ferme et tenace, m’avait empoigné le cœur pour l’arracher d’un coup sec et déterminé. Le reste avait fui. Ce qui avait constitué cette personnalité si douce et fragile était parti définitivement, effrayé par l’hideuse bête qui prit sa place. Leroy, pourquoi n’es-tu pas venu me chercher ? Pourquoi n’ai pas lu des lettres de toi, rassurantes et posées ? Pourquoi ne t’ai-je pas entendu me dire « Viens avec moi. Tu avais raison depuis le début » ?
-Traitre ! pestai-je.
Un traitre. Leroy était un traitre, et un beau ! Un traitre dans toutes les règles de l’art ! Je me levai de mon lit, sur lequel quelques instants plus tôt j’étais restée allongée de tout mon long, mes pieds pendant dans le vide. La chambre était vide. Le dortoir était vide. Ma poitrine était vide de toute trace d’Amour. De l’Amour pur, j’entends. Je ne pouvais dire que personne ne m’aimait. Non. Il y avait bien quelques fous pour le faire ; Rabastan, Narcissa le faisaient bien. Et Lev maintenant le faisait comme un confident. Pourquoi avais-je l’impression que ce n’était pas la bonne forme d’Amour ? Pourquoi me sentais-je vide, malgré tout ? Le gouffre se remplissait de ténèbres, étrange mélange de haine, de regrets et de blessures. Il se remplissait à chaque fois que la bête opérait, toujours plus férocement, et à mesure qu’elle s’éloignait du cœur qu’elle avait arraché. Je passai une main sur ma poitrine. Il y avait pourtant un cœur battant à tout rompre ici. Je savais que ce n’était qu’une image, qu’un moyen plus clair pour tout simplement dire que j’avais vendu mon âme pour sauver ma propre vie. Que valait-elle à présent ? Peu importait. J’aimais cette vie comme un drogué aime sa drogue. J’aimais Rabastan comme l’on aime son dealer, sa dépendance. Et plus encore, car aucun sevrage ne me semblait possible. Et au fond, cette petite voix disant que ce n’est pas sain. Pas…pur. Que j’avais perdu la raison et que je m’étais laissée glisser dans le noir en en appréciant la saveur, la teinte, l’aspect. Tout en ces ténèbres me plaisait. Les émotions en étaient décuplées, si vives et fugaces, pourtant tenaces. Traitresses des ombres, elles pouvaient vous ensorceler, vous envoûter et personne ne pouvait s’en échapper. Surtout pas moi qui les chérissais tant. J’ouvris la fenêtre de la chambre, et laissai entrer la brise légère et fraîche du soir. Tous se trouvaient au repas de Noël, mais je n’avais pas le cœur à y aller. Ah ! Quelle douce plaisanterie ! Sûr que je n’en avais pas le cœur ! Je n’avais le cœur qu’au mal et au danger, aux plaisirs interdits et aux colères dévastatrices. Mariée à la Haine, amante de l’Orgueil et partisane de la Douleur. Quel beau tableau ! Et Leroy ne pourrait plus jamais revoir son amie…car je l’avais remplacé. Pourtant, ce n’était pas aussi simple. Je la sentais. Là ! Juste là ! Ce fantôme misérable et laid ! Toujours à se balader dans les tréfonds de mon esprit, à prier, espérer la disparition de la Bête sans pour autant la confronter, la mettre au défi.
- Joyeux Noël, sifflai-je acide et moqueuse.
Tu parles d’un Noël ! Il n’avait jamais été joyeux. Jamais…jamais…Enfin…Si. Il y avait bien ce Noël que j’avais passé avec Leroy. Une réunion de sang-pur, un bal organisé le soir du réveillon. C’était exceptionnel, et très intimidant. J’étais beaucoup plus jeune, et tellement différente. Mon regard glissa vers la grande armoire magique en ma possession. Quelques secondes d’hésitation plus tard, j’ouvris l’armoire et dévoilai ma cachette. Je me saisis d’un album photo posé sur une des étagères, et refermai le tout d’un coup de baguette. Me retournant d’un pas gracieux, j’ouvris l’album à la couverture chocolat, légèrement poussiéreuse. La première photo ne déclencha ni sourire ni joie. Du moins, en surface. Le misérable fantôme, lui, se sentit revivre. Je m’en agaçai aussitôt. C’était une photographie de moi et Leroy plus petits. Il avait moins de cheveux à cette époque, et un visage plus joufflu, enfantin. A ses côtés, une petite sorcière – vraiment trop petite même pour son âge !- se tenait en riant aux éclats, un teint plus terne, des cheveux plus courts et plus lisses avec beaucoup moins de charme. Une petite beauté simple, destinée à grandir. Sûrement mon point de vue était altéré par ma vanité … mais les faits étaient là. Sur chaque photo, Leroy et moi paraissions si enjoués et détendus. Amicaux. Notre amitié avait été belle, profonde, un peu trop de mon côté. Quelle idiote ! En tournant les pages, je remarquai l’air admiratif que j’avais pu avoir en regardant le sang-pur. Je l’avais admiré. Aimé. Et à présent, méprisé. C’était mieux ainsi. Je refermai l’album, faisant disparaître ces sinistres photos. Sinistres, du moins maintenant qu’il était mort à mes yeux. Leroy était mort à mes yeux. Ces mots n’arrivaient pas à pénétrer complètement mon esprit, comme s’ils luttaient pour ne pas devenir réels. Pourtant, ils l’étaient. Notre amitié était terminée. J’y avais mis un terme. Pourquoi avais-je l’impression que ce n’était pas terminé ? Je soupirai. La chambre baignait dans une semi-obscurité, et mes yeux parcoururent les cadavres de robes, de jupes, de pantalons, de chaussures, et de livres qui se trouvaient au sol – bizarrement, seulement de mon côté ! Devrais-je me débarrasser de toutes ces choses me rappelant Leroy sans arrêt ? Comme pour boucler la boucle, ou quelque chose dans ce style ? Il ne me fallut pas délibérer longtemps ; je pris tous les albums photos, les lettres, les cadeaux, les souvenirs précieusement gardés dans des fioles et je mis le tout dans un sac ensorcelé, capable de contenir au moins trois éléphants. Je me mis à un bureau, allumai une bougie, et pris ma plume, mon encre et un parchemin.
A Leroy De Louvière, Le 24 décembre 1976.
Leroy, Tu me connais assez pour savoir que ce n’est ni un cadeau de Noël, ni une lettre d’excuse. Mais laisse-moi m’expliquer avant d’ouvrir le sac que je joins à ce message. Les choses font que tout simplement, nos chemins ne peuvent plus se croiser à présent – en bien, j’entends. Ta responsabilité n’est pas entière concernant la disparition de toute forme d’amitié entre nous, même si j’insiste pour te dénoncer comme seul coupable ; je dois avouer que l’ignorance a contribuée à notre éloignement. Si je te dis cela ce n’est pas par regret, car je ne regrette pas les mots qui ont clos notre dernière entrevue, mais disons plutôt pour mettre un point à notre histoire. J’ai tout fait pour me persuader que tu étais bel et bien mort à mes yeux, mais la réalité est toute autre. Je n’ai pas réussi à oublier mon ancien ami. Pourtant, c’est ce que je compte faire. C’est ce dont j’ai envie. J’ai besoin de t’oublier, de t’éloigner, par crainte ou par rancœur … peut-être les deux. Peu importe. S’il y existe une once d’affection enfouie dans ton cœur pour moi, alors garde-la précieusement contre toi. Je n’en veux pas avec moi, mais ça ne veut pas dire que je ne veux pas qu’elle existe. S’il te plait, continue d’aimer la Gaël qui était ta fidèle amie, pour que je sois sûre qu’elle ne disparaisse pas complètement de mes mains. Garde-la avec toi Leroy. Ne la laisse pas mourir, car elle étouffe et meurt lentement avec moi. Si tu la garde, elle continuera d’exister au moins dans ton cœur, et tout ne sera pas perdu pour moi. C’est tout ce que tu as à faire. Ne pas l’oublier. Parce qu’une fois cette lettre envoyée, il n’y aura que son souvenir qui t’appartiendra. Je ne la veux plus. Elle me fait mal Leroy. Elle me montre comme je suis devenue laide, aussi hideuse que la méchanceté peut l’être sous son vrai visage. Et je ne peux même pas écrire ces mots sans pleurer, car ELLE l’affreuse Gaël me ronge de l’intérieur pour m’en empêcher, et gratte mon cœur pour le faire saigner. Dans le sac, il y a tout ce que nous avons partagé ensemble. Je te donne les photos, les cadeaux que tu m’as offert, les souvenirs… je te les donne car je me suis rendue compte que pour t’oublier et m’oublier, je devais les rendre. C’est à toi maintenant. Tu en es responsable. Brûles cette lettre. Oublie ces mots, mais pas la tâche que je te confie. Et n’en parle plus jamais. Ne parle plus jamais de cette Gaël, de cette lettre, de ces souvenirs. Ils n’existent plus que pour toi…
G.
Lucifer, mon hibou, s'envola dans les airs pour déposer le paquet à Leroy. Je le regardai quelques minutes s'éloigner, en attendant sans bouger que les larmes cessent de couler, et que la Bête s'étire, et se prélasse, rassurée.
Sujet: Re: Un cadeau innatendu pour un ancien ami ♣ Mer 9 Jan - 14:35
Le dortoir des Serdaigle était si silencieux que l’on aurait pu le croire vide. La neige dansait derrière les hautes fenêtres, à travers lesquelles le parc de Poudlard se distinguait à peine. Quelques silhouettes patinaient sur le lac, mais elles semblaient montrer peu d’entrain, même à cette distance. Gris et blanc, le monde n’était pas vraiment paré aux couleurs de Noël. Leroy laissa ses doigts courir sur la vitre, traçant des sillons dans la condensation, avant de se détourner. Sur son lit, les grimoires qu’il lisait demeuraient ouverts à côté de quelques feuilles de parchemins, d’un encrier et d’une plume d’aigle. Il avait passé une partie de l’après-midi à travailler et s’était accordé quelques minutes de pause. Ses condisciples l’avaient regardé quelque peu étrangement en quittant le dortoir : même chez les Serdaigle, il était inhabituel que l’on travaille le jour même de Noël. Mais précisément, Leroy voulait oublier qu’on était le 25 décembre, oublier ce que les autres fêtaient dans la salle commune ou dans la Grande Salle. Il n’avait jamais aimé cette célébration, n’y avait jamais cru, et cette année ne changerait rien. Il n’aurait guère de cadeaux, puisque cela nécessite généralement d’avoir des personnes qui se soucient de vous et de ce que vous devenez, qui ont une attention particulière pour vous. Il s’en moquait. Le garçon s’assit de nouveau sur son lit, attira à lui un de ses livres. Sortilèges avancés, pour préparer encore et toujours l’entrée à l’école des Aurors, après la septième année. Il devait s’avancer autant que possible ; il n’aurait pas droit à l’erreur lors du concours. Pourtant, il avait du mal à se concentrer. Noël, la fête de la joie et de la famille…Encore faut-il pour cela avoir une famille aimante, chaleureuse. Encore faut-il que leur plus grand souhait ne soit pas de vous attraper pour vous faire expier vos trahisons. Encore faut-il que les termes de « joie », de « famille » aient un sens réel à leurs yeux et ne soient pas une simple valeur traditionnelle à défendre. Etrange de voir à quel point les sang-pur plaçaient haut leur croyance en la famille, en leurs racines mais se retournaient sauvagement contre ceux qui s’en détachaient. Black ou lui, par exemple… Alors que leurs proches prônaient si haut l’importance de la famille, ils en avaient été radiés, effacés, comme si on leur déniait tout droit d’appartenir à un groupe. Qu’on parle après cela de paix des familles et d’union… Leroy en était écœuré. Mais sa rancœur envers Noël ne datait pas de son départ de chez lui. Depuis toujours, il ne comprenait pas cette fête, ne l’avait jamais vécu pleinement. Comment l’aurait-il pu d’ailleurs, étant donné le comportement de son père à son égard, l’attitude de sa mère ? Malgré les apparences, finalement, les Louvière n’avaient jamais constitué une famille à part entière ; Emmeran l’avait su et c’était sans doute pour cela qu’il ne s’était jamais soucié de fêter hypocritement Noël d’une façon digne de ce nom. Leroy y avait cru de longues années, bâtissant illusion sur illusion pour essayer de trouver sa propre place, sans jamais y parvenir. Il avait fini par renoncer. Emmeran était plus prodigues de coups et de remontrances que de cadeaux. Noël, pour lui, était un jour comme les autres ou presque. De toute façon, il n’y avait nul sapin dans la maison, nuls guirlande ou personnage de Noël –trop futile, trop puéril. Si jamais des livres apparaissaient sur la table de chevet de Leroy, ils annonçaient davantage d’études et de leçons qu’un véritable plaisir de lecture. Quant à sa mère, Salvia… A cette époque, elle savait à peu près qui il était, elle ne l’avait pas encore rayé de sa vie pour avoir son nouveau Loriân, sans doute plus conforme à ses souhaits. Néanmoins, malgré le monde enchanté qu’elle s’inventait et qu’il ne comprenait pas, c’était avec elle que Leroy préférait passer ses soirées de Noël quand il le pouvait. Elle était douce, gentille, aimable. Qu’importait qu’elle ne vît pas vraiment son fils en lui, mais plus un compagnon de jeu ? L’enfant qu’il était se trouvait prêt à tout pour passer du temps avec sa mère. En fin de compte, la meilleure façon de fêter Noël était les réceptions entre sang-pur, où il pouvait s’amuser avec ses amis. Mais ses soirées étaient semblables aux autres ; ce n’était qu’un moment agréable à passer ensemble, d’où la joie de Noël était en partie exempte. Leroy tourna une page sans s’en rendre compte, incapable de se rappeler ce qu’il venait de lire. Tout cela laissait un constat amer : à 16 ans, il ne savait pas vraiment ce qu’était Noël, n’avait jamais éprouvé ou ressenti la vraie joie de cette fête. Il se l’imaginait pourtant assez bien : la neige tombant depuis de longues heures, tapissant maisons et trottoirs de son manteau immaculé, étouffant tous les sons sous sa lourde chape blanche, les rues désertées à mesure que la soirée avançait, les gens réfugiés au chaud chez eux, autour de sapins décorés de mille guirlandes, chantant, festoyant de mille mets tous plus délicats les uns que les autres tandis qu’approchait l’heure d’ouvrir ces paquets parés de rubans multicolores, prêts à dévoiler leur mystère dans la joie et les rires… Rires et joie : non vraiment, Noël n’était pas pour lui. Il n’y avait jamais rien vu qui ait du prix à ses yeux. Le Serdaigle secoua la tête. Il devenait réellement injuste. Il avait reçu des présents de personnes qui comptaient vraiment à ses yeux. De vrais cadeaux, donnés dans une intention sincère, et lui-même en avaient offert de la même façon, touchant légèrement du doigt ce qu’il pouvait y avoir au fond de Noël, ce qui pouvait tellement attirer dans cette fête. La joie simple du bonheur partagé, du plaisir d’offrir et de voir un sourire chez l’autre, un regard soudain plus brillant dans l’excitation de la découverte. Oui, il l’avait vue…chez certains de ses vrais amis. Chez une amie, en fait. Le grimoire se referma dans un claquement sec, et le mouvement brusque faillit renverser l’encrier sur le lit. Mécontent contre lui-même, Leroy se passa une main dans les cheveux. Il n’était jamais bon de raviver les souvenirs du passé, surtout lorsque le présent s’était chargé de les rendre encore plus douloureux. Un tapotement contre la fenêtre du dortoir lui fit soudain relever la tête. Un hibou luttait contre les bourrasques de neige pour se maintenir au sommet de la tour. Leroy plissa les yeux : il connaissait l’animal, même si ce ne fut qu’en s’approchant pour le laisser entrer qu’il le reconnut formellement. Lucifer. Le hibou de Gaël. Le cœur de Leroy manqua un battement. Le hasard faisait parfois de drôles de détour : étrange que Lucifer se manifeste juste au moment où il commençait à penser à la Serpentarde. La fenêtre s’ouvrit brutalement, repoussée par le vent et Lucifer s’engouffra dans le dortoir en même temps que la neige. Sans attendre, il alla déposer son chargement sur le lit avant de tendre une patte à Leroy d’un air autoritaire. Une lettre y était attachée. Le garçon revint vers son baldaquin, tendit une main prudente mais sûre en direction du hibou. Il le savait agressif et il avait déjà souffert de sa tendance à pincer, dans les premiers temps, lorsque Gaël et lui s’écrivaient. D’un geste habile, le garçon détacha la lettre, évita le bec de l’oiseau qui, dépité, reprit brusquement son vol. Leroy ferma la fenêtre à sa suite, avant de revenir à pas lents vers le sac déposé par Lucifer.
Que lui voulait Gaël ? Que lui envoyait-elle ? Il n’en avait aucune idée. Leur dernière discussion demeurait encore vive dans son esprit, de même que les derniers mots qu’elle lui avait jetés au visage. Il était mort pour elle –une réalité qu’il se refusait encore à admettre. Et pourtant, elle lui écrivait. Le garçon posa les yeux sur le sac, tout en tournant et retournant le parchemin entre ses doigts. Il finit par se décider et l’ouvrit.
* Lorsqu’il releva les yeux, le garçon était en état de choc, très pâle. Les mots de Gaël l’avaient touché au cœur, justes, terriblement justes.
–Non, murmura-t-il. Non…
Il ressentait tout le poids de sa culpabilité dans l’histoire. Gaël avait raison de le désigner comme étant le principal coupable. Il avait été cruellement égoïste. Mais il aurait tellement voulu qu’elle comprenne également la façon dont il avait vécu cette période. Le choc de ce que son père lui avait fait avait longtemps pesé sur ses épaules et il lui avait fallu du temps pour s’en remettre. Pendant longtemps, il n’avait plus vraiment su où il en était, le temps d’admettre et d’accepter qu’il avait tout perdu, qu’il avait fait un choix irréversible. Un choix qui refusait les compromis. Et pour cela, pour entériner sa décision, il avait dû prendre ses distances avec son ancien milieu, refuser les contacts. Inutile de se voiler la face : il avait dû se sevrer de son ancienne existence, oublier la magie noire, et les tentations qui risquaient de l’y faire retomber. Il devait maintenir son cap, et la rupture nette, brutale, franche avec tout ce qui avait constitué son passé s’était avérée une nécessité. Mais il avait commis une terrible erreur en incluant Gaël dans le monde qu’il fuyait, au lieu de comprendre qu’il aurait dû agir autrement envers elle. Il n’avait pas osé lui écrire, lui dire qu’elle avait raison. Il avait commencé des dizaines de lettres mais s’était toujours interrompu dès les premières phrases, saisi par la crainte qu’elle ne comprenne pas son revirement et qu’elle le rejette autant que les autres. Elle comptait énormément pour lui ; peut-être avait-il voulu préserver inconsciemment l’image qu’elle avait de lui, ne pas lui donner à voir un autre Leroy. Mais cela avait été le plus mauvais des calculs ; en cherchant à éviter la fin de leur amitié, ou s’illusionner en se disant qu’elle existait encore, il n’avait fait que précipiter sa disparition. Et lui avait donné un caractère irrémédiable, qu’ils auraient peut-être pu s’épargner. Les remords l’envahissaient. Pourquoi n’avait-il pas agi autrement ? Il savait pourtant ce que Gaël ressentait, ce qu’elle pensait…sa crainte de la solitude. A leur façon, tous deux partageaient les mêmes sentiments ; d’un certain côté, ils étaient plus sensibles que les autres sang-pur. Enfants élevés sans amour, ils en avaient pourtant terriblement besoin. Besoin de se sentir aimés et appréciés, besoin de compter pour quelqu’un, d’avoir de l’importance aux yeux des autres. Besoin d’un amour qu’on leur refusait obstinément sans qu’ils en comprennent la raison. Leur amitié avait comblé en partie cette défaillance, malgré leurs idées opposées. Comment avait-il pu oublier cela ? Comment avait-il pu laisser Gaël à l’écart ? Son père avait fait bien plus de dégâts qu’il ne l’avait pensé, pour qu’il perde à ce point confiance en elle. Emmeran comptait parmi ses principales illusions et il avait tout brisé en le blessant comme il l’avait fait. Leroy avait-il craint que la même chose n’arrive à propos de Gaël ? Avait-il eu peur des réactions de la jeune fille et préféré vivre sur des mensonges ? Peut-être. Leroy savait qu’il avait toujours eu du mal avec ses propres sentiments ; il était incapable de les exprimer, les montrait très rarement, préférait tout verrouiller en lui-même. Au point qu’il en oubliait les choses les plus élémentaires. Un peu de réflexion lui aurait permis de tendre la main à Gaël, de reconnaître ses torts, et tous deux auraient tourné le dos à ce monde qui ne voulait pas vraiment d’eux pour chercher une autre existence. Pourquoi avait-il été si égoïste ? Pourquoi ?
Dans un état second, il attira à lui le sac apporté par Lucifer. Il savait déjà ce qu’il contenait, mais ne pouvait résister à la tentation de faire revivre encore ce passé qui lui coulait entre les doigts, s’effritait, balayé par le vent des erreurs commises. Cadeaux, souvenirs, photos…tout était là. Toute leur amitié, résumée en ces quelques objets. Les photos d’autrefois lui tirèrent un léger sourire. Il avait possédé les mêmes, auparavant, mais elles étaient restées chez lui après son départ. Dans les affaires envoyées par son elfe de maison, il y avait surtout des effets fonctionnels : des vêtements, des livres de cours, un peu d’argent. Très peu de choses personnelles, pour ne pas dire rien. Leroy se demandait parfois ce que son père en avait fait. Pour autant qu’il le sût, sa chambre pouvait très bien n’être plus que ruines et cendres à présent. Les pages de l’album défilèrent sous ses doigts. Sur chacune, deux enfants souriaient, s’amusaient, partageaient les rares moments d’innocence qui leur étaient accordés dans leurs vies chaotiques. Conscient maintenant de ce que Gaël avait éprouvé pour lui, Leroy pouvait lire ses sentiments dans les regards qu’elle posait sur lui. Là encore, il n’échappait pas au poids des remords. Il se perdit également dans les lettres échangées autrefois, les récits enfantins, les mots sincères, portés par leur amitié, loin de l’hypocrisie qu’ils emploieraient plus tard. Une bouffée de fraîcheur, d’air pur que son comportement avait vicié. Pourquoi devait-il toujours tout gâcher par sa seule faute ? Pourquoi avait-il fui Gaël au lieu d’assumer, de lui parler en face à face ?
Le garçon s’assit en tailleur sur son lit, posa un grimoire sur ses genoux, puis saisit une feuille de parchemin et sa plume. Les mots coururent, rapides, sincères, sans arrière-pensée.
Gaël,
Peut-être ne liras-tu pas ces mots, peut-être même auras-tu brûlé l’enveloppe sans l’ouvrir… je le comprendrais mais je prends le risque malgré tout. Je n’attends pas de réponse, mais j’ose espérer que tu liras jusqu’au bout et que tu comprendras. Que tu me pardonneras peut-être, même si je sais que rien de ce que je t’ai fait n’est excusable et que je le regrette plus que tu ne peux l’imaginer.
J’aimerais que nous soyons encore ces deux enfants capables de rire ensemble et d’oublier leurs divergences. J’aimerais…mais je sais que le passé a peu de chance de redevenir un jour le présent. Cependant, je veux croire que nos chemins se croiseront encore en bien ; pardonne-moi d’avoir encore un peu d’espoir à ce sujet, mais je ne peux me résoudre à te dire adieu définitivement.
Je comprends la distance que tu veux prendre ; j’ai agi ainsi pour rompre avec ce qui constituait ma vie d’autrefois, pour me reconstruire loin de mon père, même si je l’ai fait trop brutalement, et que nous payons tous deux les conséquences de mes erreurs. J’espère simplement que nous ne sommes pas en train de les répéter. Sans doute pas, puisque tu as eu le courage que je n’ai jamais eu : écrire. Tu n’imagines pas le nombre de lettres sans cesse commencées et toujours arrêtées. Pardonne ma lâcheté, Gaël, si tu le peux… J’ai eu peur que tu ne comprennes pas, j’ai voulu nous préserver, garder intacte l’image que j’avais de nous. Je me suis bercé de l’illusion enfantine, puérile, que si je ne regardais pas les choses en face, rien ne changerait vraiment entre nous. J’aurais dû saisir que tu étais la seule capable de comprendre, la seule capable de comprendre ce que je vivais, et de l’accepter. Il est trop tard pour les remords, mais c’est sans doute la pire erreur que j’ai commise.
Sois-en sûre : je ne t’oublierai jamais, et je conserverai précieusement ce que tu m’as confié aujourd’hui. La Gaël que je connais et qui fus (et, au fond, est encore) mon amie continuera à vivre ; elle aura sa place avec moi et j’aurai toujours pour elle l’affection que j’éprouvais pour ma première et vraie amie. Je t’en fais la promesse. Je garde également l’espoir que je pourrai te la rendre un jour, qu’elle existera ailleurs qu’en moi. Qu’elle fera à nouveau pleinement partie de toi. Il n’est jamais trop tard, Gaël, pour quoi que ce soit. Tu sais aussi bien que moi qui j’ai été, comment je me suis comporté, à quel point j’ai longtemps refusé d’admettre que tu avais raison et que je me trompais. Mais on peut toujours se relever. Tu n’es pas aussi laide que tu le penses, et tu peux te débarrasser de tout cela, si tu le veux. Je te tends la main ; j’espère que tu pourras et que tu voudras l’accepter un jour.
Je t’attendrai.
L.
Le cœur gros, Leroy ferma la lettre avec soin. Mine de Rien l’apporterait à Gaël d’ici quelques instants. Le regard du garçon revint sur l’album photo, glissa sur la petite fille rieuse du passé. Du doigt, il effleura le papier glacé sur lequel deux enfants s’amusaient encore, inconscients des drames qui les déchireraient plus tard. Heureux de leur amitié, loin des soucis apportés par leurs familles.