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Rabastan Lestrange

Rabastan Lestrange

6ème année ϟ Préfet


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MessageSujet: Past background Past background Icon_minitimeDim 8 Juil - 17:41

Bon alors par curiosité, j'ai eu envie de vous faire partager les histoires que j'ai écrites précédemment pour d'autres forums. J'espère que vous apprécierez la lecture.
Je précise quand même le contexte avant, pour que vous ne soyez pas perdus !

Donc pour le premier, il s'agit d'un des rares forums HP auxquels j'ai participé à l'exception de Fiz (Past background 1985122615). C'était un HP alternatif qui avait lieu à la même époque que les romans, mais alors que Voldy avait tué Harry bébé. L'entrée à Poudlard a été repoussé à l'âge de 15 ans.
Et ce fut mon premier Lestrange : Caym Samyaza Lestrange était le fils de Rabastan. Voilà :



Past background A_beec10


- Qu'est-ce que c'est ?

Stephen sursauta, provocant des sourires autour de la table. Très drôle, il aurait aimé les voir à sa place : Sam était un type bizarre, et quand il entrait sans s'annoncer s'accoudait sur le dossier du canapé où vous vous étiez enfoncé... Bah, entendre une voix juste à côté de son oreille alors qu'il n'est censé y avoir personne, ça ferait sursauter n'importe qui.

- Frappe avant d'entrer, putain. Tu m'as foutu les jetons.
- Désolé. Qu'est-ce que c'est ?

Stephen leva les yeux vers l'adolescent, suivi son regard : visiblement il demandait ce qu'était..

- Quoi ? La télé ?
- C'est une.. télé ?
- Allez... tu sais forcément ce que c'est.

Mais apparemment non. Le garçon observait avec une curiosité froide les publicités à l'écran. Stephen jeta un coup d'œil autour de lui : tout le monde avait l'air d'être interloqué. Ignorer ce qu'était la télé.... Bon sang, au fin fond du trou le plus paumé du monde on devait savoir ce que c'était, non ?

- J'en ai déjà vues, mais je ne savais pas comment vous les appeliez.


Voilà. Ca avait longtemps été de cet ordre là. Depuis la première fois où le gosse avait débarqué chez eux à l'improviste, dans un grand CRAC, tenant la main d'une créature bizarre, petite, grandes oreilles et nez proéminent. La créature ronchonnait en permanence lorsqu'elle était là, mais d'après Sam, il ne fallait pas faire attention, c'était normal en présence de "Moldus" comme il avait dit. C'était apparemment un "elfe de maison". Un gosse plutôt grand pour son âge, les cheveux noirs, mais le regard clair, qui n'avait témoigné aucune crainte de se trouver là. D'ailleurs il avait admis lui-même avoir désiré s'y trouver. Il voulait voir les Moldus en vrai. Jesse avait bien essayé de lui expliquer plus tard, qu'il aurait pu très mal tomber, se faire kidnapper par des gens mal intentionnés, ça n'avait pas suscité beaucoup de réaction. Le gamin avait l'air d'estimer qu'ils étaient tous, au pire, un danger négligeable. Finalement le groupe d'étudiants, vivant par manque de moyen dans un appartement trop petit de la périphérie de la capitale, avait appris à ne plus s'étonner des bizarreries qui entouraient le gosse, l'étrangeté de ses questions. Ils en étaient venus à apprécier ses arrivées à l'improviste, ses réactions décalées face à ce qu'eux trouvaient normal et évident. Son air tantôt complètement indifférent aux situations les plus violentes montrées ou évoquées, tantôt d'un enthousiasme entraînant. Il avait réussi à se faire emmener au British Museum et dans plusieurs galeries, aux centres commerciaux, dans le métro. Caym Samyaza Lestrange, c'était trop long, ils l'avaient surnommé Sam dès le premier jour.
Bizarre comme nom avait finalement fait remarquer Paul. Le garçon s'était contenté de hausser les épaules et il avait fallu insister pour obtenir une explication : Caym c'était pour le jour de sa naissance, correspondant à la fête de l'antique dieu celte, Samyaza c'était le nom d'un des plus vieux ennemis du dieu des Moldus et Lestrange c'était une des familles les plus respectées de son monde. Les plus grands fidèles du Seigneur des Ténèbres. Cela aurait dû leur mettre la puce à l'oreille. Ils savaient déjà pour le monde des sorciers, Sam s'était pourtant contenté du strict minimum, démontrant une extraordinaire capacité de détournement des sujets qu'il ne souhaitait pas aborder. Ils n'auraient peut-être pas dû non plus prendre avec autant de légèreté le manque évident de morale. Comment le gosse avait-il été élevé ? Personne ne lui disait-il qu'on ne ruait pas de coups le pauvre chien d'une dame, simplement parce que celle-ci s'était montrée désagréable ? Ils ne s'étaient pas étonnés non plus de la fascination qu'il montrait pour les prédateurs des documentaires animaliers, une fois la nouveauté assimilée. Les dessins animés, en revanche, cartoons des Bunnys et Vil Coyote mis à part, semblaient lui être d'un ennui mortel au mieux. Non, ils avaient tous pris ça comme une marque d'excentricité, s'était amusé de ces bizarreries comme d'un animal exotique mais inoffensif.
Stephen avait commencé à s'inquiéter lorsque le comportement de son propre petit frère avait commencé d'évoluer. Les deux garçons avaient été présentés à l'appartement un jour, et depuis, il semblait que Sam s'était mis à lui rendre visite aussi. Qui influençait l'autre ? Peut-être les deux. Dan, le frère de Stephen, avait toujours eu des problèmes disciplinaires au collège. Mais les faits se multiplièrent et s'aggravèrent rapidement. Les enseignants se plaignaient de comportement agressif et méprisable. Leurs parents n'arrivaient plus à le contrôler et Dan se montrait d'une insolence virant facilement à la violence. Quand les tatouages commencèrent d'apparaître en même temps sur les bras de son frère que sur ceux de Sam, il ne fut pas difficile pour Stephen de faire le rapprochement. Une mise au point était nécessaire.
Stephen avait pensé à une explication sévère, avec des menaces, ça semblait inévitable de parler de police et peut-être de poursuites. Peut-être allait-il falloir lever une fois la main.... La vérité, c'est que face à l'air d'indifférence totale de Sam face aux reproches et aux menaces, devenu goguenard face à la main levée, Stephen n'avait pu retenir son coup, poussé par une colère soudaine.
Bah, de toute façon son poing ne toucha pas vraiment le garçon. En revanche lui, Stephen sentit les poings de l'adolescent lui marteler les côtes, la mâchoire, son ventre encaissant des coups de genoux. Il glissa à terre sans s'en rendre compte. Les coups cessèrent mais deux mains fermes le saisirent au cou, juste sous la mâchoire, le forçant à observer en face son agresseur. Il y avait quelque chose de dérangeant dans le visage de Sam, à laquelle il n'avait pas fait attention avant : les émotions exprimées étaient toujours en décalage avec la situation. Par exemple là, le regard aurait presque pu être qualifié de doux.


- Pourquoi tu m'as menacé comme ça Stephen ?
L'interpelé secoua sa tête comme il le pouvait dans une situation pareille, clarifiant ses idées. Le sourire de Sam était devenu amusé, visiblement intéressé par sa tentative de se libérer. C'était un monstre.
- Laisse Dan tranquille !
- Dan ? Mais je l'aime bien. Je ne lui ferai jamais de mal. Il a du cran pour un Moldu. Je l'ai déjà vu se battre à un contre cinq ! … Tandis que toi, tu te fais mettre à genoux par un ado seul et sans baguette.. Tttt.
- Je ne veux plus que tu lui parles !
- Pourquoi ?
- T'as une mauvaise influence sur lui ! Ne l'approche plus !
Sam avait juste eu l'air surpris. Et s'était contenté de hausser les épaules.
- Ca te gêne qu'il devienne plus fort que toi ? Que tu ne puisses plus lui dire quoi faire ? Tu devrais être fier de lui. Lui et Jamie et Pete.. Si tous les Moldus étaient comme eux...
- Lâche-moi connard !
Sam recula, non face à l'insulte mais pour prendre le recul nécessaire à envoyer un bon coup de latte dans le ventre du jeune homme. Quand le visage de l'adolescent s'abaissa de nouveau vers lui, il n'y vit qu'un léger sourire, sans la moindre animosité.
- T'es vraiment con, hein... Tu ressembles aux Résistants. Toujours à pleurnicher. Mais vous n'osez jamais utiliser les moyens qui pourraient vous faire gagner. Vous me faites pitié.

CRAC !! !
Son jeune bourreau s'était retourné avec la vivacité d'un chat. Un homme se tenait là. Il y avait quelque chose de sinistre dans cette silhouette sévère, dans l'expression de froide fureur qu'il arborait, la baguette levée. Un instant Stephen ressentit de l'espoir : sûrement s'agissait-il là d'un sorcier, venu pour arrêter Sam. Il fut balayé par un seul mot prononcé d'une voix blanche par l'adolescent :

- Père...



Samyaza inspira profondément. Il avait toujours su que son père finirait par découvrir son petit manège. Ca n'empêchait pas qu'il était méchamment nerveux à l'idée de sa réaction. Les yeux de Rabastan Lestrange s'abaissèrent dédaigneusement sur le Moldu.

- Qu'est-ce que tu faisais avec cette créature ?
- Je... Je voulais savoir, comment ils étaient. Par rapport à nous. Quand on les affronte je veux dire. .

Ce n'était pas tout à fait vrai. La vérité c'est qu'il avait été vraiment curieux et s'était efforcé d'être le plus objectif possible. Mais il imaginait mal Rabastan comprendre qu'on puisse porter le moindre intérêt aux Moldus à moins qu'il ne s'agisse de les asservir ou de les tuer. Samyaza s'efforça de ne pas s'humecter les lèvres face au visage de Lestrange senior, masque inchangé de menace latente.

- Depuis combien de temps tes petites... expériences ?
- … Environ trois ans..

Il n'avait hésité qu'une seconde. Mais si Rabastan avait interrogé Charon, son elfe de maison avait sûrement estimé qu'il devait la vérité au maître de maison, qu'il ait été affecté personnellement au service de Samyaza ou non. Mieux valait éviter d'être pris à mentir. Son père n'avait jamais été tendre lorsqu'il estimait qu'il y avait matière à recadrage.

- Pourquoi t'en cacher alors ?
- C'est... Je n'étais pas sûr que tu serais d'accord. Après.. après ce qui est arrivé à Mère...

Le visage de son père se crispa. C'était un argument dangereux, mais c'était probablement le seul capable d'éventuellement détourner la colère de Rabastan vers le Moldu. Plusieurs années auparavant, il y avait eu un attentat dans Londres, mené par ce que les Moldus appelaient "des terroristes". Samyaza s'était beaucoup renseigné à leur sujet, et aussi sur cette journée. Lui n'en avait aucun souvenir : c'était une immense page blanche au milieu de ses souvenirs. Les journées suivantes elles-mêmes restaient très floues. Ca n'avait pas eu lieu loin du Chemin de Traverse et plusieurs sorciers en étaient morts. Sa mère en avait fait partie.
Après un silence, Rabastan reprit la parole :

- Et toujours ici ?
- Presque. Au bout d'un moment, j'ai demandé à Charon de m'emmener dans d'autres endroits. Mais je n'ai parlé qu'à ceux vivant ici..
- Non, c'est...

Stephen au sol semblait vouloir s'exprimer. Ce qui était tout sauf une bonne chose. Surtout alors que le terrain devenait plus sûr et qu'il pouvait se permettre quelques petits mensonges. Charon n'avait jamais su que Samyaza fréquentait Dan, Jamie et Pette. Le jeune sorcier avait toujours exigé d'être transporté à des endroits donnés et renvoyé son elfe. Ces noms ne devaient Jamais atteindre les oreilles de son père.

- Ta gueule !.
Plus que cette injonction, c'est probablement le coup de chaussure lancé violemment au visage de Stephen qui le fit s'interrompre.

- Assez, Samyaza.

La voix de Rabastan avait changé. Elle était plus douce. L'homme arborait un léger sourire, mais c'était suffisant pour y lire une certaine fierté. L'adolescent mit toute l'application dont il était capable à ne pas montrer son soulagement. Ce n'était pas si difficile étant donné l'agrément qu'il ressentait à être ainsi reconnu de son géniteur. Son père s'avança jusqu'à eux, porta une main sur l'épaule de son fils.

- Je crois qu'il est temps de commencer à t'apprendre comment on traite les Moldus, dans les règles. Endoloris !

Et Stephen commença de hurler.



Dan alluma une cloppe – avec plus de naturel qu'un mois plus tôt - et enfonça l'une de ses mains dans la poche de son jean, soufflant la fumée par les narines.
- Alors tu te barres pour ton école, hein ?
- Dans un mois, ouais., acquiesça Sam, perché sur le dossier du banc de béton, jouant d'équilibre pour rester debout sur la tranche. Faites pas cette tête, je vous enverrai des lettres..
- 'Tain vous êtes vraiment à la ramasse sur certains trucs, les sorciers, lâcha Jamie. Des lettres ? Eh, on a inventé le téléphone depuis un bout de temps ! C'est sûr qu'avec des lettres vous n'êtes probablement pas encore au courant.
- On a des moyens de communiquer plus rapidement aussi, rétorqua le sorcier sans relever la provocation. Mais ça marcherait pas avec vous. Et puis y a pas de téléphone à Poudlard.
- Et ils font comment les enfants dont les parents sont pas sorciers ?
- Ils envoient des lettres.

Dan et Pete s'esclaffèrent, le premier manquant de s'étouffer avec sa fumée. Des Moldus. Mais c'était quand même ses potes aux yeux de Samyaza. Paradoxalement ça ne l'empêchait pas de considérer l'ensemble des non sorciers comme des inférieurs : après tout c'était évident puisqu'ils ne pouvaient pas utiliser la magie. D'ailleurs c'était bien la seule vraie différence qu'il voyait avec les trois adolescents en sweat jean ou survêt.

- Ca a pas été trop dur avec ton pater ?
- Hmm ? Non t'inquiète.

C'était faux. Contrairement aux espoirs de Sam, Rabastan n'avait pas oublié qu'en fin de compte son fils avait désobéi et s'était éclipsé de la maison familiale presque à chaque fois que les précepteurs l'y laissaient sans autre surveillance que celle des elfes de maison. La leçon avait été douloureuse et l'adolescent n'avait pas osé retrouver les trois autres garçons avant deux semaines, se tenant à carreau et de manière irréprochable, le temps que son père soit de nouveau rattrapé par ses propres devoirs et oublie de surveiller trop attentivement les allées et venues de sa progéniture. Mais Sam avait bien trop pris goût à ses escapades pour accepter de rester longtemps cloîtré, ne serait-ce même que d'accepter des limites comme le Chemin de Traverse.
En tous cas il n'avait pas la moindre envie d'admettre ce qui s'était passé, c'était trop humiliant ne serait-ce que d'y penser. Changement de sujet ?

- Et toi ta famille ?
- Ils sont tous sous le choc.
- Et toi ?
- Bah ça fait bizarre. J'étais un peu triste au début. Je le suis toujours en fait. Mais t'as vu, Stephen, c'était mon frangin, mais on avait presque dix ans d’écart et je l'ai jamais vu beaucoup. N'empêche, si jamais je l'attrape cet enfoiré, sorcier ou quoi... Tu m'aideras hein, Sam ?
- Bien sûr.

Eh oui, naturellement il avait menti. Auprès de Dan, il avait prétendu avoir été attaqué par un sorcier, un qui aurait cherché des crosses à son père. Il avait dit que Stephen s'y était opposé et que le sorcier l'avait torturé et tué pour ça. Il avait aussi dit que son père était arrivé à temps pour le sauver lui, mais trop tard pour Stephen, que le sorcier s'était enfui. Durant tous ses mensonges, c'est tout juste s'il s'était posé la question de savoir si c'était bien ou pas. En fin de compte, ce n'était que du bon sens. S'il avait dit la vérité, Dan aurait perdu un pote en plus d'un frère, non ? Personne n'y aurait gagné quoi que ce soit.


En voyant s'éloigner Sam, Dan eut un petit pincement au cœur. C'était con, mais voir partir un pote, ça vous fait toujours quelque chose. Et puis Sam, c'était un peu la garantie de faire toujours ce dont on avait envie, à moins d'une impossibilité naturelle. Au début, Dan ne cessait de dire "j'aimerais bien faire ça". Et le sorcier demandait toujours "pourquoi pas ?" Parce que ce n'était pas bien ? Vrai qu'au début, violer les règles, ça fait peur, ça donne le tournis, on dort mal, et on a l'impression que tout le monde vous regarde mal. Et puis en fin de compte c'est vous qui commencez à regarder les autres, à les voir incapables d'aller où vous vous promenez avec désinvolture, de dire ce que vous pouvez chanter, de faire ce qui vous devient naturel. C'était grisant et valorisant. Il n'y renoncerait pour rien au monde et personne ne le lui enlèverait sans qu'il se batte jusqu'au bout. La morale ne menait qu'à la situation où se trouvait sa famille, pauvre et trimant sans relâche - c'était ce qu'avait dit Sam et Dan en était dorénavant persuadé. Si tu veux quelque chose donne t'en les moyens, sinon rentre dans les rangs des moutons et ne te plains pas d'être tondu. La violence elle-même, il y avait pris goût, si bien que les autres devaient le retenir parfois. Il s'entraînait tous les jours, comme les autres ; il avait même volé des livres sur la boxe et les sports de combat. Peut-être qu'un jour, il monterait sur le ring, sous les projecteurs et devant toutes les caméras du monde entier, moldus et sorciers. Et quand son adversaire serait KO, il entendrait le rire de ses potes. Le même rire que Sam avait eu, la première fois où Dan s'était battu avec un autre garçon et lui avait cassé le nez..
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Rabastan Lestrange

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MessageSujet: Re: Past background Past background Icon_minitimeDim 8 Juil - 18:47

Le 2e était un forum fantastique, comprenant les traditionnels Vamp et Lyc', avec du Démons pour foutre la merde en sus. L'action avait lieu au XVIe siècle à Venise. Mais l'histoire de mon perso remontait au Xe siècle. La voilà donc :



~ 1 ~

Elle était belle si belle… Sans doute comme le sont toutes les mères aux yeux de leurs rejetons lorsqu’elles les aiment. Quand elle se penchait au-dessus du feu, les flammes faisaient naître mille et un reflets dans des cheveux d’un noir profond, miroiter les nombreuses nuances dans les yeux hazels. Yeux de sorcière. C’est ce qu’ils disaient. C’est vrai, regardez-la, avec cette peau, ces traits… Ca ne pouvait qu’être le résultat de l’union contre-nature entre un chrétien et l’un de ces diables de maures. Et puis pourquoi vivait-elle à l’écart du village, hein ? Elle avait des choses à cacher forcément, mauvaise engeance… Et elle vivait seule, même pas mariée, la sale putain. Le gosse devait être le fruit du Sabbat. Elle ferait mieux de retourner se traîner avec les Arabes, cette moitié d’Egyptienne.
Pourtant les gens ne leur faisaient rien. Ils les évitaient dans un silence hostile haineux mais ne tentaient rien à leur encontre. Chacun avait ses raisons qu’il croyait secrètes et uniques. Qui avait fait soigner le petit dernier par la sorcière alors qu’il était mourrant, qui s’était fait avortée pour attendre un enfant hors mariage, qui avait trouvé dans la chaumière éloignée le remède à sa faiblesse pour honorer son épouse, qui avait besoin de maquiller ses gueules de bois… Et ainsi de suite. Non la femme en savait trop, on avait peur qu’elle bave les petites mesquineries, les hontes qu’elle leur renvoyait à la figure par sa seule présence chaque fois qu’ils la voyaient. Et l’air altier qu’elle montrait, l’indifférence qu’elle affichait pour leurs opinions comme leurs croyances n’arrangeaient rien.

Gabriele n’en savait rien à l’époque, trop jeune, trop peu concerné, mais ils se trouvaient en plein « territoire chrétien ». Les régions accidentées du Nord-Est de la Sicile étaient hostiles pour quiconque ne les connaissaient pas depuis la plus tendre enfance, n’y avaient été initiés aux secrets découverts par les générations précédentes. Le terreau parfait pour ceux qui prétendaient défendre leur « vraie foi » contre les envahisseurs Egyptiens. Les apports que les Musulmans avaient emmenés dans leur bagages, la médecine, l’organisation agricole, les techniques d’irrigation, tout cela était considéré d’un mauvais œil suspicieux. La région donnait bien du fil à retordre aux Kalbides qui avaient pourtant si bellement transformé Palerme. Quoi qu’il en soit, tout cela donnait une étrange fierté aux habitants, de l’engrais au fanatisme, des excuses religieuses aux projets les plus vicelards. On ne change pas les hommes. Gabriele était également trop jeune pour comprendre les regards qu’on pouvaient jeter à sa mère, qu’il y avait d’autres manières de trouver une femme belle que la béatitude enfantine. Des manières qui souffraient mal les rejets désintéressés, voire moqueurs. Une catin qui refusait d’offrir ses faveurs, dites, si c’était pas une graine du Diable, ça ! Fallait lui apprendre à cette petite garce.

L’enfant fut surpris de ne pas recevoir l’habituel sourire que sa mère lui réservait lorsqu’elle relevait le regard de ce qu’elle faisait cuire.


Que fallait-il faire ? La jeune femme observa son fils sans remarquer le regard qu’il lui renvoyait. Il était beaucoup trop jeune, avec ses cinq années pas encore atteintes. Ils ne pourraient pas lui faire de mal, si ? Malheureusement elle les connaissait trop bien. Oh ils n’étaient pas tous pourris jusqu’à l’os, mais ceux qui ne l’étaient pas ne s’interposeraient pas. Comment en était arrivé à ce point ? Si vite… Une semaine avait suffi pour que l’accord tacite qui régnait entre elle et les villageois se désagrège, pour qu’ils commencent de lui faire vraiment peur. Il avait suffi de l’arrivée de ce maudit prêtre. La femme cracha de dégoût dans le feu. Si seulement elle avait possédé les pouvoirs qu’on lui prêtait, il serait déjà la victime des pires malédictions, les entrailles mangées par les parasites et les génitoires brûlantes. Mais elle n’avait pas le moindre pouvoir surnaturel, seulement celui de connaître les plantes et la médecine. Quand bien même elle concocterait un joli poison pour cet homme sinistre que les autres en feraient un martyr aussi sec et chercheraient à venger sa mort. Elle ne pouvait pas se le permettre. Elle avait un fils, il fallait qu’il vive, et qu’il vive bien.
Finalement son regard s’adoucit comme elle songeait à son « trésor » aux boucles cuivrés. Et pourtant elle avait longtemps hésité à se débarrasser du fruit qu’elle portait en revenant de Messine. Elle ne regrettait pas sa décision. Au lieu de peser sur son existence, l’enfant l’avait bizarrement allégée. Gabriele. Conçu et né hors mariage, non baptisé, non éduqué dans le christianisme, allant jusqu’à s’effrayer des crucifiés aux visages emplis de souffrance lorsqu’il les voyait… Le nom était un pied de nez aux bigots. Qu’ils viennent tenter de le lui prendre, elle leur arracherait les yeux de ses ongles. Une fois de plus elle cracha.
Mais sa décision était prise, la meilleure possible étant donné les circonstances : il fallait partir.


Ce fut la première fois de sa vie qu’il sentit ses entrailles se nouer au point de lui faire mal. Il avait la bouche sèche et son cœur battait suffisamment fort pour qu’il entende ses tympans bourdonner, ses tempes vibrer à chaque pulsations. Il avait la nausée. Gabriele était tellement crispé qu’il ne se rendait pas compte que sa main le lançait douloureusement à mesure que sa mère la serrait de plus en plus fort entre ses doigts moites et nerveux. Le pire étant qu’il ne comprenait pas pourquoi. Les villageois n’avaient jamais fait preuve de beaucoup de sympathie, à part quelques femmes attendries par les joues enfantines. Mais là… La façon dont on les regardait le glaçait malgré le soleil qui cognait. Tous ces yeux qui ne cillaient pas, on aurait dit que la méchanceté qui les habitaient avait réussi à faire taire les oiseaux. La respiration difficile, Gabriele était au bord d’une peur panique qui menaçait de le submerger. S’il perdait le contact avec sa mère, il ignorait encore s’il la frayeur le paralyserait ou le ferait fuir sans se retourner.
Elle, elle avançait, en s’efforçant de ne croiser le regard d’aucun d’eux, de ne pas ralentir malgré le poids des affaires qui pesaient sur ses épaules. Elle avait cru qu’ils pouvaient encore passer une dernière fois parmi ces maisons, le chemin le plus court pour rejoindre la route qui menait à Palerme. Elle espérait encore ne pas s’être trompée, qu’ils n’allaient rien faire, qu’ils seraient trop heureux de les voir partir pour rien tenter. Elle serait les dents tellement fort qu’elle avait l’impression de les sentir grincer dans sa bouche. Partagée entre la rage et la peur, elle se sentait le cœur au bord des lèvres, les larmes au bord des cils. Du coin de l’œil elle les voyait nombreux. Et dire qu’elle les avait aidé, qu’elle en avait guéri, voire sauvé certains. Nombreux. Trop. Ses sourcils se froncèrent d’inquiétude. Le village n’avait jamais compté autant d’âmes. Il y avait des hommes qui venaient d’ailleurs. Oh bon sang… Cette route n’était pas si longue d’habitude… Pourquoi Gabriele n’avançait-il pas plus vite ? Pourvu qu’ils rejoignent vite les limites du hameau. Pourvu qu’ils le laissent rapidement loin derrière eux. Au moins ils avaient déjà dépassé ce maudit prêtre, le Grand Nic’ l’emporte.

L’espoir fait vivre paraît-il. Celui qui a dit ça n’était qu’un fieffé menteur. La première pierre, personne ne sut jamais qui l’avait lancée, mais c’était un sacré lanceur, ou une ? Elle atteint la « sorcière » en plein sur le nez. En temps normal, un coup comme ça avait de quoi vous sonner. Cependant la jeune femme avait accumulé trop d’adrénaline pour succomber à la douleur qui explosa dans son visage. Au fond d’elle-même, son instinct lui soufflait que c’était le coup d’envoi, les hyènes avaient flairé la faiblesse de leur proie, il était plus que temps de courir et de leur donner tord. Un autre instinct hurla plus fort encore : elle se saisit de son fils, rejetant leurs maigres possessions. Après tout, elles ne serviraient de rien s’ils étaient morts. Et elle s’enfuit, à toutes jambes, l’enfant terrifié contre sa poitrine, la peur augmentant à mesure qu’il voyait le sang s’écouler du nez de sa mère. Nez qui avait d’ailleurs été trop bien explosé par la pierre pour remplir son office. La femme sentait chaque inspiration lui déchirer les poumons alors qu’elle respirait autant d’air que de sang.

Trou noir. Bref. Mais trop long déjà. Lorsqu’elle rouvrit les yeux, elle était au sol, entourée de créatures hurlantes et gesticulantes qui lui lançaient des pierres comme les singes cruels qu’ils étaient. Elle poussa un cri qui devait être le nom de son fils qu’elle ne voyait plus et ne sentait plus, mais cela ressemblait plus à un cri inarticulé. Les douleurs qui lui déchiraient le corps n’étaient rien en comparaison de la terreur qui la faisait ramper. Où était-il ? Qu’est ce qu’on lui faisait ? Où était-il ? Ce furent ses dernières pensées.


En fin de compte il n’avait pas fui, il n’avait pas été paralysé non plus. Au moment même où des mains écœurantes mais trop puissantes l’avaient séparés de sa mère, il s’était transformé en furie, hurlant, feulant crachant, distribuant des coups de ses poings minuscules, de ses pieds abîmés, griffant, mordant tout ce qui passait à portée. Jusqu’à être immobilisé dans une étreinte qui l’empêchait de respirer correctement et qu’on lui enfonce un chiffon sale dans la bouche. L’épuisement et le manque d’oxygène… Il n’arrivait plus à bouger, des étoiles dansaient devant ses yeux, il avait mal partout. L’enfant avait du perdre connaissance parce que lorsqu’il rouvrit les yeux le soleil était bien plus bas dans le ciel. Il avait toujours ce chiffon dégueulasse qui l’empêchait d’émettre le moindre son. Encore mal remis de ce qui venait de se produire, il balaya du regard ce qui l’entourait et tenta un mouvement.

Ne bouge pas. Estime toi déjà heureux d’être vivant.

La voix qui sifflait ces mots à son oreille était celle d’une femme. Mais elle était surtout nerveuse et tendue. Il sentit des mains le resserrer mais cette fois il n’y avait aucune brutalité, au contraire c’était le geste ferme de quelqu’un qui cherche à réconforter. A ce moment seulement il sentit que le corps épais de celle qui le tenait tremblait de haut en bas et le garçon reprit son inspection pour chercher l’origine du malaise. On allumait un feu là-bas. Ils étaient loin mais… Le garçon plissa les yeux pour mieux voir et ce fut le moment que l’un des hommes choisit pour s’écarter du foyer. Les flammes étaient déjà hautes mais même à cette distance, l’enfant reconnut les vêtements de sa mère sur une forme allongée et informe. Ses sourcils se levèrent devant une horreur que même lui pouvait comprendre :

Ne bouge pas ! Ne regarde pas, ne regarde pas surtout !

Mais sa protectrice imprévue devait être elle-même trop fascinée par le spectacle macabre. Elle aurait pu se détourner, emmener le gamin loin de là, mais elle ne pouvait détacher son regard du feu. L’horreur atteignit son comble : la silhouette informe au milieu des flammes eut un frisson et le corps trembla. Derniers restes d’une vie qui ne voulait pas partir ou illusion de la chaleur ? Gabriele sentit la bile lui remonter jusque dans la bouche où il faillit s’étouffer avec à cause de ce qui l’obstruait. La femme sentit le corps du gosse se crisper violemment et puis retomber mollement dans ses bras. A ce moment-là, elle lui fut presque reconnaissante de s’être évanoui, de lui donner quelque chose à faire, quelqu’un dont elle devait prendre soin, une raison de pas voir la suite, de faire comme s’il ne se passait rien…




Tu t’appelles comment ?
Gabriele.
Alors ? Tu viens d’où ?
Bah de Palerme.
Non mais j’veux dire, avant. On te voyait pas avant. Où ils sont tes parents ?
Oh. Eh ben… mon père est soldat tu vois. Et il s’est embarqué pour la Romagne. Il faut que j’m’en sorte tout seul en attendant qu’il revienne.
Ah ouais ?… Et ta mère ?
Rho, j’l’ai jamais connue, fit-il en haussant les épaules.
Eh moi non plus ! Viens j’vais te montrer où on peut trouver à manger. Allez viens.

Gabriele suivit l’autre gosse, l’estomac dans les talons, il était prêt à tout pour manger, jusqu’à dévaliser des infirmes et des mendiants. Chose qu’il n’avait pas pu faire depuis une semaine qu’il avait atterri à Palerme où la Vieille l’avait laissé : « Bon allez. Tu arriveras bien à te débrouiller tout seul. Moi je ne peux pas. Tâche de devenir un bon chrétien. » La bonne femme se mentait toujours autant, ne voulait pas avoir un gosse à charge, surtout celui de… « la sorcière ». Finalement la seule bonne chose qu’elle ait jamais fait de son existence avait été de sauver la vie du gosse. Lui en demander plus c’était lui en demander trop. Et Gabriele s’était retrouvé à errer, fuir, chercher dans les rues. Jusqu’à tomber sur d’autres gamins livrés à eux-mêmes.
Mais on lui posait tant de questions… Qui ne suscitaient que de vagues souvenirs. Vagues mais qui lui donnaient toujours une violente envie de vomir. Alors il mentait. Au départ cela demandait de la concentration, et puis au fur et à mesure ça devint un réflexe, un jeu, une habitude. Au point d’oublier ce qui l’avait poussé à inventer une histoire pour la première fois. Gabriele montrait déjà qu’il était de ceux qui voulait croquer la vie à pleines dents, et s’il fallait être le premier à qui l’on mentait pour cela, eh bien…


~ 2 ~

Les cris furieux de l'oublieux se mêlaient aux rires des enfants déjà éparpillés comme autant de moineaux voleurs et insaisissables. Scène somme toute assez courante dans cette Palerme de fin de millénaire. A l'ombre d'un bâtiment embelli par l'arrivée des Arabes près de cinquante ans plus tôt, trois enfants s'assirent confortablement sur leur derrière, partageant leur butin. La graisse des oublies coulait sur leurs maigres doigts et les petits pâtés craquaient délicieusement sous leurs dents, mais malgré l'insouciance dont ils donnaient l'apparence, les plaisanteries échangées au sujet du gros commerçant, qui que ce soit aurait approché ces farouches gamins des rues et ils auraient déguerpi plus vite qu'un matou surpris. Malgré la faim qui leur creusait encore l'estomac ils enveloppèrent deux de leurs prises encore chaudes et croustillantes dans un vieux tissu étonnamment propre. Ce serait pour Maria. La mère de Manuelo était une de ces femmes pénétrées de la doctrine chrétienne et d'autant plus que les catholiques siciliens vivaient sous domination musulmane. Ainsi, par charité disait-elle, il n'était pas rare de la voir nettoyer les hardes d'autres gamins, les repriser, offrir parfois un toit lorsque le froid hivernal arrivait à percer même la douceur sicilienne, en échange de quoi, ils lui ramenaient souvent une part de leurs larcins… qu'elle ne refusait jamais.

Le menton luisant du jus de son repas, Gabriele jeta un regard alentour qui se fit défiant sitôt qu'il tomba sur des soldats un peu plus loin. La mine basse, les yeux sombres, c'était bien assez pour qu'après s'être prestement essuyé la bouche d'un revers de manche crasseux, le garçon file un coup de coude aux côtes de ses camarades et que tous trois s'éloignent jusqu'à trouver prise pour continuer sur les voies plus sûres qu'étaient les toits. Le soleil brillait fort dans un ciel azuréen et les odeurs lui rappelèrent ses toutes jeunes années, quand il avait une mère lui aussi, dans la campagne sicilienne. De ce passé pourtant proche, il ne se souvenait que des arbres, de la chaleur des pierres qui encadrait une rivière à la fraîcheur délicieuse, les odeurs, une petite bicoque, et d'autres du même genre, un clocher, et la mer… D'un minaret jaillit tout proche l'appel à la prière. Les jambes ballant dans le vide au-dessus d'une ruelle, Manuelo et Gianino discutaient et se disputaient, tandis que Gabriele écoutait songeusement les prières. Loin de lui l'idée de se convertir, c'était déjà tout juste s'il était chrétien, n'allant jamais à messe, connaissant à peine quelques bribes de patenôtre, n'ayant écouté les sermons de Maria que parce cela semblait des histoires extraordinaires. Son esprit était trop rétif aux obligations pour y entendre quelque morale.

Non en fait il aimait la musicalité des prières arabes. Et pourquoi ne l'aurait-il pas fait ? Manuelo pouvait dire ce qu'il voulait, c'était facile quand on avait une croix au cou, de se prendre pour un saint. Bon. C'est vrai même avec un crucifix, la foi de Gabriele n'aurait pas vraiment été beaucoup plus forte, mais il aurait aimé avoir un objet à lui qu'on lui aurait offert, qu'il n'aurait pas eu à chiper et aurait aimé s'en montrer plus ou moins digne. Enfin… Il y avait certes ce joli médaillon qu'il avait réussi à voler mais qu'il ne s'était jamais résolu à revendre aux faux mendiants habituels. C'était un risque réel, on pourrait vouloir le lui prendre, et s'il résistait, simple gamin des rues qu'il était, il pouvait prendre un mauvais coup ou pire. Or c'était son petit trésor à lui, le seul objet de valeur qu'il posséda, il en aimait les formes abstraites, la douceur et la fraîcheur du métal, la sensation de la chaîne dans son cou les rares fois où il osait le porter. Comment aurait-il pu savoir qu'elle allait être à l'origine de l'enchaînement d'évènements qui le mèneraient à la nuit ?
Cela commença dans une salle seulement éclairée par les feux de lumignons. Les trois enfants, les trois mêmes, instinctivement serrés les uns contre les autres face au géant qu'était le geôlier, faisant pour l'occasion, nettement moins de cas du deuxième homme, moins grand et plus maigre, barbe et cheveux grisonnant, bien que mieux habillé, on sentait au travers de la sobriété de sa mise qu'il aurait pu arborer beaucoup plus de richesse. Pour répondre à sa question, le gardien expliqua qu'ils avaient été pris aux alentours du quartier chrétien, à force de recevoir les plaintes des commerçants. Les autres avaient été relâchés peu de temps après qu'on leur eut surtout fait très peur et quelques plaies et bosses. Mais ces trois là avaient des objets plus précieux sur eux, dont une médaille qui ne pouvait qu'avoir été volée.

- Et tu l'as volée ?

La voix avait été calme et profonde, un fort accent arabe, mais la question avait été parfaitement intelligible. Gabriele releva son menton sale et égratigné en signe de défi, oubliant presque par cette pique qu'il avait faim, qu'il se sentait plus sale encore que d'habitude et qu'il était fort misérable .

- Non c'est ma mère qui me l'a donnée avant qu'elle ne meure. C'est un bien de famille, Messer.

Et de porter sa main à l'objet qu'on ne lui avait encore retiré du cou tant il tenait du chat sauvage, et avait mordu et griffé tous ceux qui s'y essayaient, même à moitié assommé. Cependant sa répartie ne provoqua qu'un rire amusé.

- Vraiment ? Tu dois venir d'une lignée princière alors… Rares sont ces médaillons, je n'en ai jamais vu moi-même sur d'autres que les plus nobles d'entre nous.

L'enfant fronça les sourcils pensant qu'on se moquait de lui. Ce n'était pas le cas et le comprenant, sa surprise révéla bien à quel point il ignorait tout de son trésor, et par là-même, si quelqu'un en avait jamais douté, qu'il l'avait bel et bien volé.

- Vous connaissez le châtiment réservé aux voleurs.

Ce n'était pas une question et les garçons pâlirent, les larmes montèrent aux yeux de Gianino, le plus petit, la lèvre tremblante.

- Mais vous n'êtes que des enfants. Voilà donc ma proposition : travaillez pour moi, vous serez nourris et logés. Les tâches ne manquent pas et vous devrez travailler dur. Toutefois, je vous apprendrai à lire et à écrire, de sorte que vous puissiez accéder aux mystères du Qu'ran et vous convertir plus tard à la vraie religion.

Le geôlier renifla et glissa quelques mots dans sa propre langue, certainement pour dire qu'on ne tirerait rien de ces malappris ce en quoi il n'avait pas tout à fait tort. Pourtant Gianino écarquillait déjà des yeux emplis de soulagement et d'espoir et Gabriele s'apprêtait à accepter sans barguigner, pensant que la première des priorités était de sortir des geôles et qu'on aurait bien le temps ensuite d'aviser. Manuelo le devança malgré tout, et son regard était étrange, la voix vibrante de la même ferveur qui animait sa mère, ou plutôt en une bonne imitation de celle-ci.

- Nous sommes chrétiens, Messer. Jamais Christ ne sera par nous renié. Vous…

- Mon frère est simple d'esprit, Messer, coupa brusquement Gabriele malgré le regard furieux de son camarade. Il ne sait pas bien ce qu'il dit depuis qu'il chuta du toit de la mosquée, sauf votre respect, où nous nous étions réfugiés. Depuis son esprit a du être dérangé par quelque démon profitant de son crâne endommagé pour entrer sa tête, et il ne jure plus que par le Pape et tous les Saints comme s'il aspirait à les rejoindre. Mais vous le savez bien Messer, nous ne sommes que des ignorants, et s'il vous plait de bien vouloir nous enseigner, nous vous servirons mieux que ces méchants valets qui grugent leurs maîtres…

Il aurait pu continuer longtemps ainsi pour empêcher Manuelo de reprendre la parole et de les
mettre tous trois en péril, si l'homme n'avait levé la main pour exiger le silence.

- Votre choix doit se faire librement. Que celui qui ne veut pas venir reste ici.

Et bien entendu malgré toute son ardeur, devant un tel argument, Manuelo s'accoisa tout à trac. On aurait aussi pu prévoir son évasion peu de temps après. Plus étonnant fut celle de Gianino, mais il était bien jeune encore, et avait encore dans les oreilles les légendes de Maria sur ceux qu'elle appelait 'les infidèles', oubliant que nombre de leurs camarades en faisaient partie et il s'était rangé aux arguments apocalyptiques du fils de la matrone. Souad Ibn el-Faïr ne cacha pas sa fureur, d'autant que les trois garçons avaient été serrés dans une cave pour la nuit dont il ne pensait pas qu'on puisse s'échapper. Cette humeur passa vite à sa curiosité pour Gabriele. Pourquoi le garçon ne s'était-il pas enfui avec les autres ? Il fut également étonné de la gravité qu'il lut dans ses yeux quand l'enfant lui demanda sans ciller et le plus sérieusement du monde s'il était bien vrai qu'il lui apprendrait à lire et à écrire. La vérité pure. A plus ou moins dix ans, Gabriele commençait donc une nouvelle vie.

Certes il n'avait plus à se soucier des crampes causées par la faim, du manque de confort, des sommeils agités où l'on ne dort que d'un œil pour ne pas être surpris par les importuns. Mais il fallut travailler d'arrache-pied, s'acquitter de tâches ingrates et peu valorisantes. S'il fut considéré avec une hostilité évidente dans un premier temps par le reste de la maisonnée, comme un intrus et un moins que rien, son bagou, sa facilité à jouer du plat de la langue autant que ses sourires faciles et son apparente bonne volonté lui acquirent finalement les autres serviteurs et la famille même du maître des lieux, réputé docteur en théologie, ce qui n'alla pas sans provoquer quelque tragédie, comme on verra. Plus, il ne ménageait guère sa peine à apprendre tout ce que le Maître lui enseignait, peinant durant ses courtes nuits et sacrifiant même son sommeil à rattraper un précieux temps perdu. La conversion devait toujours être le bout du chemin sur ce point Ibn el-Faïr était intransigeant. Gabriele fit donc comme si cela allait de soi, quand bien même cela ne l'intéressait guère, la religion lui passant définitivement au-dessus de la tête, qu'il fut mahométan, catholique, ou quoi que ce soit d'autre, il s'en souciait comme d'une guigne. Ce n'était à ses yeux qu'une autre mascarade nécessaire à la bonne navigation au sein des sociétés. Une bonne chose, assurément, puisque son Maître décida qu'il n'y avait probablement pas de risque à lui enseigner aussi l'écriture latine, et les sciences des anciens que les Arabes affinaient tant à l'époque, en créant de nouvelles.

Bien sûr ce n'était pas anodin, Ibn el-Faïr avait en tête des plans concernant le jeune sicilien, mais celui-ci n'eut jamais l'occasion de les connaître.



~ 3 ~

Avec les années, les sens s'éveillent. Fréquentant toujours la rue, ce fut pour commencer sans conséquence qu'il s'essaya à ces nouveaux plaisirs de chair auprès de catins en principe interdites d'enceinte, mais officieusement tolérées, les autres femmes étant si peu accessibles et tant d'hommes ne se trouvant pas mariés. Folie de jeunesse et confondant grande affection et amour, il se prit à faire la cour à la plus jolie fille du maître de maison. Et la nature allant son cours…

Sur le bateau qui l'emmenait vers le continent, ou plutôt dans la cale où il avait réussi à s'introduire et se tenait reclus, l'amertume qu'il ressentait n'allait guère à la pauvre Fatima, ou si peu. Ce n'était pas qu'il n'avait cure d'elle, plutôt que ce genre de sentiments, empathie ou pitié, ne lui était pas naturel, d'autant plus qu'il avait si longtemps vécu tout au bas de l'échelle sociale. Ce n'était pas de l'apitoiement sur soi, ce n'était non plus dans sa nature. Non plutôt qu'il se trouvait soudainement stupide d'avoir commis un acte qu'il savait pourtant si risqué, et d'avoir du coup perdu le gîte et le couvert, la sécurité et pour quoi ? Quelque chose qu'il aurait pu obtenir ailleurs, fallait-il être stupide ! Oh la fureur du père n'avait laissé aucun doute quant au sort qui lui serait réservé si jamais il se faisait prendre à Palerme. Et il avait si mal au cœur là-dessous… Son estomac ne supportait pas vraiment les remous. Mais rapidement, comme c'était son usage, ses pensées passèrent à son avenir : que faire une fois débarqué ? Tout en réfléchissant, il caressait pensivement le médaillon qu'on lui avait miraculeusement laissé.

Quelle chance ce fut ! Ce pauvre moinillon qui vomissait cœurs et tripes par-dessus le bastingage ! A la nuit Gabriele s'était faufilé avec sa discrétion habituelle hors sa cachette pour profiter un peu de l'air nocturne. Il n'avait pas été difficile de l'assommer, s'emparer de sa misérable bure, puis de le jeter par-dessus bord. Plouf ! On croirait à un accident, cela arrivait parfois, après tout. L'adolescent était retourné en tapinois à son abri derrière les caisses. Le reste du voyage fut cependant plus désagréable encore qu'à son commencement, la robe enfilée portant encore les odeurs rances et acides du moine. Des remords ? Pas une seule seconde, il ne se posa même pas la question, la survie avant tout, la loi du plus fort ou du plus malin.

Malgré les méchants relents qu'exsudait son habit, celui-ci lui fut fort utile à terre. S'offrant quelque nuit dans des abbayes où il eut également le droit à un repas frugal mais à un repas tout de même. Cependant il fut bien vite évident, en dépit de sa belle aptitude à mentir et à plaire, qu'il n'était pas plus moine que saint, tout juste s'il connaissait quelques prières. Gabriele retrouva les rues avec la méchante impression d'être retourné à la case départ. De part son âge, c'était même plus dangereux, plus violent, il apprit les rixes, les coups bas, les guet-apens. Pourtant les mésaventures l'ayant mené plus au Nord un hiver le surprit et la faim le réveilla de nouveau.

Face aux remparts bien construits, Gabriele songea que c'était folie que de tenter pareille entreprise, mais s'il ne l'essayait, quand pourrait-il prétendre jamais manger de nouveau ? Ses côtes commençaient de saillir et ses joues de se creuser comme pour beaucoup d’autres au travers de l’Europe d’ailleurs. Aucune autre circonstance ne l'aurait pris à grimper à sa manière féline, trouvant des prises dans les joints des pierres, prenant son temps pour choisir les plus assurées, restant le plus dans l'ombre possible. Des chiens l'attendaient sur le chemin de ronde, sans hostilité. Ils avaient l'air simplement curieux, un peu méfiants, mais les caresses qu'il leur prodigua avec un soulagement reconnaissant achevèrent de rassurer des dogues bien peu agressifs, les intrus devaient être rares. A présent, il lui fallait trouver les cuisines tout en évitant les éventuels veilleurs. Silencieux comme une ombre il erra plus longtemps qu'il n'aurait voulu. Aussi quand il découvrit finalement la réserve, pleine de jambons, de viandes d'un bœuf tué depuis peu, d'épices et de légumes, la bave lui en coula presque de la bouche. Gabriele partagea son repas avec les chiens comme il l'avait fait autrefois avec les gamins des rues. Son enthousiasme et le plaisir de se remplir de nouveau la panse eurent raison de sa vigilance et quand l'un des dogues jappa de joie pour accueillir un nouvel arrivant, il se passa du temps avant qu'il ne tourna la tête vers l'entrée et sursauta en voyant la lampe d'une chandelle se refléter sur la lame effilée d'une épée.

- Lève-toi !

Il ne se fit pas prier, mais prit immédiatement un air contrit tandis qu'il prenait tout de même les meilleurs appuis pour pouvoir s'enfuir au plus vite si une occasion se présentait.

- Comment te nommes-tu ?

Ses sourcils se froncèrent, la voix était trop fluette pour… Ses yeux se relevèrent pour détailler plus avant son assaillant. Presque un enfant, l'air fier, mais en même temps curieux et au moins aussi effrayé que Gabriele quelques instants plus tôt.

Ce qui n'avait au début pour but que de gagner du temps avant de s'échapper, devint une véritable conversation, l'épée s'abaissa, le garçon ébahi des aventures fausses ou vraies qui découlaient de la bouche de l'intrus l'invitant même à se servir de nouveau. La vérité était que Gabriele lui-même s'attendrissait de la candeur qui lui faisait face, il n'avait jamais eu l'occasion de rencontrer une telle innocence couplée à une si grande aspiration à la noblesse d'âme. Quand celui qui dit se nommer Lorenzo, fils du baron dell'Aquilachia, lui proposa de rester au château pour servir, l'adolescent fut abasourdi au point de ne plus savoir quoi dire. Servir encore ? Cela lui rebutait, à dire vrai, malgré la sécurité que cela impliquait. Mais plus encore, comment Lorenzo pouvait se trouver si sûr que son père se trouverait en aussi bonnes dispositions que son fils pour accueillir un voleur dans sa maisonnée ? Il se trouva néanmoins que l'homme n'était pas ignorant des extrémités auxquelles poussait la faim. Ce qui le décida néanmoins fut imprévu.

Remettant sa décision finale au midi, Gabriele fut confié à une menine avec pour mission de le laver, l'apparence disait-il lui en dirait plus sur le jeune chapardeur, la mode voulant qu'un individu porta son âme sur sa figure se gagnant de plus en plus d'adeptes. Les rougissements de la demoiselle étaient adorables et donnaient bonne envie de s’attarder en la demeure, mais que dire du compliment que lui fit le baron lui-même, une fois qu'il fut aussi propre qu'un sou neuf, les yeux ouverts d'étonnement que tant de crasse puisse cacher un si joli garçon.

- Et les dents blanches et saines, encore !

- Ma mère m'a appris à les entretenir à l'aide de racines. Elle disait qu'il était déjà bien assez difficile de manger avec, alors sans…

Ce pouvait être vrai comme faux, pour autant qu'il s'en souvenait. En tout cas il ne se souvenait plus l'origine de cette habitude. Il s'avéra par la suite que servir les dell'Aquilachia était bien différent de servir Ibn el-Faïr. Sa liberté était bien plus grande, pour autant qu'il veilla toujours à la sécurité du jeune Lorenzo et ne lui manqua pas de loyauté, ce dont il s'accommodait assez bien, la naïveté du jeune homme lui donnant encore plus de possibilités, alors même que l'affection quasi-fraternelle qu'il finit par lui vouer, comme à un frère cadet, le dissuadait de disparaître dans la nature quand il en avait l'occasion ni de lui jouer trop de tours à sa façon. Mais le plus grand des avantages étaient les voyages : la famille était grande, on la visitait souvent, de Naples à Rome, de Florence à Venise, et même Avignon. Qu'importait dès lors de ne pas être maître de sa destinée ! Aussi curieux qu'à son habitude, il apprenait des bribes de tous bords, s'amusant même parfois à se faire passer pour noble quand les regards le connaissant étaient portés ailleurs.


~ 4 ~

Lorenzo aussi succomba aux folies de la jeunesse, bien que d'une manière bien plus chevaleresque… et qui causa sa perte. Des larmes de rage impuissante vinrent aux yeux de Gabriele, les poings serrés de fureur muette au point que ses ongles s'enfonçaient dans ses paumes. C'était trop stupide ! Pourquoi se battre avec cet homme d'âge mûr pour une pucelle qui se jouait du jeune dell'Aquilachia ? Ce n’était qu’une petite garce, froide et manipulatrice, le genre qu’on ne souhaiterait qu’à son pire ennemi. Et puis le Germanique… Bien sûr que la force ne faisait pas tout qu’on pouvait ruser. Mais pas contre un homme qui avait fait la guerre, qui avait l’expérience des armes et des coups bas. Pas quand on était qu’un jeune blanc-bec, tout respect gardé, surtout un blanc-bec incapable de faire la moindre entorse à la morale. Mais il avait eu beau user de toute la rhétorique dont il était capable, Lorenzo s'était rendu au rendez-vous fixé. Qui vivrait aurait la dame. Le chevalier germain aurait donc la dame. De nouveau l'amertume. Bien sûr lui-même avait déjà tué plus que son content d'hommes et pour des raisons bien moins nobles. Mais l'important pour Gabriele n'était pas qui l'on tuait ni qui tuait, c'était tout simplement s'il s'agissait de quelqu'un lui tenant à cœur ou non. Il n'en voulait pas au seigneur étranger d'avoir tuer le sien, ni même d'avoir pris la vie d'un ami. Cependant étant à l'origine de sa peine et de la perte d'une existence qui tant lui avait plue c'était dans son sang qu'il voulait les noyer.

Car cette mort signifiait bien sûr son retour aux rues, Aquilachia ne lui pardonnerait pas de ne pas avoir su protéger son fils plus avant. C'est d'ailleurs dans une rue que le baron germain se retrouva la gorge tranchée. Attaquer de face ? Pour quoi faire ? Se retrouver comme Lorenzo six pieds sous terre ? Non merci. La pucelle responsable de cette méchante querelle devait retrouver la tête sur le rebord de sa fenêtre au matin et dans les bas-fonds, la méchante langue de Gabriele, qui portait décidément si mal le nom de l'archange, se chargea de fiel, ses paroles venant du bas atteignirent les oreilles des valets, puis de leurs maîtres et détruisit la réputation de la jeune fille. Il avait craint un temps d'être découvert et accusé du meurtre du baron, certain que quelqu'un d'autre se trouvait dans la sombre ruelle le soir où… Une silhouette, une impression étrange. Mais soit que ce fut le fruit de son imagination, soit que l'ombre ne lui voulut aucun mal, personne ne l'accusa de quoi que ce fut.

Satisfait et l'esprit tranquillisé, il fallut une fois de plus songer aux priorités du corps. Il y mettait moins de cœur néanmoins, ayant goûté à la liberté, aux livres et aux arts de l'époque, à tant de ces petits riens qui embellissent l'existence, et pour la première fois de sa vie, se sentit devenir sombre, plus mauvais qu'auparavant, s'enivrant d'excès, seules son apparence et son habitude à avoir l'air le gardèrent d'une fort mauvaise réputation. N'aurait-il vraiment plus accès à tous les charmes de la vie ? Devait-il être condamné à errer dans la boue dans laquelle il finissait toujours par retomber, alors qu'il rêvait de tellement mieux ? Dans la mansarde qui faisait office de chambrette, les murs étaient couverts de gravures, paysages traversés, personnages croisés, puis rêves éveillés, et la silhouette aperçue revint de plus en plus. Gabriele se révélait doué dans l'art de reproduire les choses mais dans l'état dans lequel il s'enfonçait, il ne s'en rendait même pas compte, se contentant d'extérioriser ses souvenirs et ses désirs.

Chacun avait bu beaucoup plus qu'il ne fallait. La tension montait dans cette méchante taverne où chacun s'adonnait plus qu'il n'est bon au jeu et où chacun, naturellement, trichait de belle manière. L'albergier sentait les choses s'envenimer, déjà les voix s'élevaient, les altercations naissaient. Or il était déjà trop tard lorsqu'il se décida à mettre dehors tout son monde. L'appât du gain le poussa donc à la ruine. S'ensuivit une rixe générale, mais d'une violence et d'une ampleur rares. La folie semblait s'être emparé de présents.
Allongé sur les pavés humides et sales, Gabriele se sentait malade, les souvenirs étaient confus et se bousculaient dans sa tête. Avait-il trop bu ? Oui sûrement, lui qui prenait pourtant soin d'habitude à rester l'esprit clair dans ce genre de trous… Etait-ce du sang qui coulait ? Le sien ? Plus moyen de faire le point, une brume nauséeuse obscurcissait autant sa pensée que ses sens, il se sentait engourdi. Quel imbécile, songea-t-il… Voilà à quoi menait le laisser-aller : au lieu de n'avoir que les pieds dans la merde, on y finit tout entier… Oh il avait presque envie d'en rire, si seulement… Le guet ! Le guet ! Ceux qui tenaient encore sur leurs jambes s'enfuirent, et pour une fois, Gabriele n'était pas parmi eux. Il s'évanouit avant que la garde n'arrive.

Décidément sa mémoire lui jouait des tours, pensa-t-il dans une brume cette fois extrêmement agréable. Il buvait à grand trait. Quoi ? Il n'aurait su quoi dire mais c'était un tel délice… Un summum, il aurait voulu cela ne s'arrêtât jamais. Cela cessa pourtant. Oh son ombre, cette silhouette… Gabriele en percevait les détails désormais, bel homme des yeux hypnotisants. D'ailleurs il percevait bien d'autres détails.
Une nouvelle vie, enfin…
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Rabastan Lestrange

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MessageSujet: Re: Past background Past background Icon_minitimeDim 8 Juil - 19:00

Et le complément d'histoire écrit six mois plus tard. En rp, c'était quasiment un siècle plus tard, et plutôt que de raconter ce qui s'était passé depuis la fin de la fiche, il s'agit plutôt d'une petite nouvelle :




Les Alpes – Xe siècle

La neige tombait dru. Honneur de cet hiver qui figurait parmi les plus rudes qu’ait connu l’Europe ce siècle-là. Et même pour eux, elle donnait aux alentours un air vierge et silencieux. Il leur fallait toute la concentration de leurs sens si développés pour sentir la résine des nombreux pins qui étalaient leurs ombres mauves sur le blanc manteau recouvrant le paysage, en entendre le froufroutement soyeux de leurs aiguilles agitées sous l’action d’un vent faible mais glacial. Les pas de leurs chevaux mêmes, paraissaient étouffés comme s’il ne fallait surtout, surtout pas faire le moindre bruit. L’odeur la plus forte qui leur parvenait à tous était celle de la sueur des animaux courbant leur échine puissante pour protéger leur tête de l’infinité des flocons. Les sons les plus clairs étaient le crissement des courroies et le tintement des étriers. Et seul un Vampire était en mesure de distinguer la vague forme du col qu’ils venaient de quitter.
En dépit de leur nature, ils s’étaient tous sentis abattus face à cette congère qui leur barrait la route de l’Italie. Impossible de savoir sur combien de lieues elle s’étendait, sans compter leurs montures qui ne pourraient en aucun cas ne serait-ce que traverser le peu qu’ils avaient pu évaluer. Demi-tour donc. Sans savoir encore quel chemin il serait le plus sage de prendre pour passer les Alpes définitivement, puisque celui-ci était bloqué. Le moral était d’autant plus bas que leur énergie à tous avait été mise à rude épreuve la nuit précédente.

Tous, c’était d’abord trois Lycanthropes. Le premier à s’avancer sur l’étroite sente qui méritait à peine ce nom, avait les traits d’un homme d’une trentaine d’année, le visage mangé d’une barbe de trois jours, les yeux noisettes fixés sur la selle de son cheval, mais les narines d’un nez fin palpitant comme celles d’un limier sur une piste. A vue de nez, il ne payait guère de mine, trop sec, trop petit, même avec l’épaisse peau qui recouvrait sa cotte de mailles sans éclat. Mais il suffisait de voir l’expression de sa face pour deviner qu’il ne s’agissait pas d’un béjaune naïf et aisé à abattre. Comme la bête qu’il montait, Giacommi était courbé, mais il n’était nécessaire que de lui voir remonter soudainement la tête chaque fois qu’une odeur lui semblait digne d’intérêt pour deviner chez lui une vivacité incroyable. L’un de ses congénères, arrivant en troisième place dans la file qu’ils formaient, paraissaient son antithèse. Guy montait le plus imposant de tous les chevaux, et c’était visiblement une nécessité. Cet homme-là tenait de l’ours ou du taureau, dont il avait le cou puissant et musculeux. Une mâchoire carrée qui semblait prête à mordre, sous forme de loup ou non, un nez camus et des yeux noirs enchâssés dans leurs orbites ne faisaient qu’accroître le malaise qu’il pouvait provoquer par sa taille de géant et sa musculature de gladiateur. Il n’avait pourtant été qu’un paysan autrefois. Plus de quatre siècles plus tôt, ce qui en faisait l’aîné de la troupe. La neige qui lui tombait sur les épaules n’avait pas l’air de le gêner alors qu’il jouait distraitement avec une masse d’arme comme si elle ne pesait rien. Le dernier loup était une louve. Et elle ne comptait pas parmi ces femmes qu’on siffle dans la rue. Son air farouche ne disparaissait jamais totalement de ses traits, durcissant des yeux bleus qui auraient pu avoir l’air doux, faisant oublier de bonnes joues rosies par le froid. Dernière, les narines de Valentina, aspiraient l’air de la même manière que celles de son aîné, tenant les rênes d’une main, retenant sa lourde cape de l’autre afin que le vent n’ôta pas la capuche protégeant les tresses sombres qui ornaient sa tête. A ceux qui auraient pu penser qu’il est stupide de mettre une femme, élément le plus faible dans les esprits, en arrière-garde, il aurait fallu désigner l’arc et le carquois qui se balançaient dans son dos.
Entre chacun de ces loups, il fallait compter les deux Vampires qui complétaient leur troupe hétéroclite. Le premier, venant juste après Giacommi, allait atteindre bientôt son premier siècle, mais son visage ne faisait pas état de plus d’une vingtaine de printemps. Ses yeux hazel scrutaient les alentours et l’on pouvait alors comprendre que c’était peut-être plus pour lui offrir une vue plus dégagée que par réelle fatigue que son prédécesseur se courbait ainsi qu’on le voyait faire. Cela dit il était difficile d’en être certain, sa tête étant dissimulée par une lourde étoffe sombre, destinée à éviter à la neige de s’amonceler sur une peau trop froide sous laquelle ne battait aucune pulsation, ne frémissant d’aucune inspiration. Avec régularité mais lenteur, il tournait son regard, à droite, à gauche, puis revenait à son point de départ. Enfin le second Vampire, déjà vieux de près de quatre cents ans, allait sur un cheval chargé de plus de sacoches que les autres. Comme tous les autres, Pietro portait une arme, mais il semblait le moins dangereux de tous et le moins en alerte. Comme s’il était celui qu’on protégeait. D’ailleurs les mèches de cheveux d’un blond vénitien qui s’échappait de sa propre capuche renforçait cette idée. De loin, on lui croyait l’air moins farouche et rompu aux voyages, aux duretés de la vie.

Valentina tourna soudainement la tête sur sa gauche, alertée par un halètement auquel elle n’avait pas prêté attention un peu plus tôt. Il y avait du mouvement parmi les sapins, mais il était difficile de dire de quoi il s’agissait avec toute cette neige. Son odorat pâtissait de l’odeur trop forte de la résine.

-Les loups.

C’était Gabriele qui avait fait la remarque au-devant : ils étaient tous attentifs les uns aux autres. La louve se rencogna dans sa selle, un léger sourire aux lèvres. Quel dommage qu’aucun d’entre eux ne possédât le pouvoir de communiquer avec ces animaux… Ces loups-là les suivaient depuis des nuits maintenant. L’hiver n’était pas seulement glacial, c’était un hiver de disette. Pour tous, hommes comme animaux. La meute avait compris son intérêt à suivre Vampires et Lycanthropes : chaque fois que tombait la nuit, Gabriele et Pietro partaient chasser un gibier dont le sang atténuerait provisoirement leur soif. Les Garous découpaient ensuite la ou les carcasses pour se nourrir de la viande la journée suivante. Les restes étaient laissés aux loups chétifs mais nerveux qui les suivaient. Quoi qu’on ne les ait pas vu beaucoup au début de la nuit. Et pour cause…
La veille, ça avait été la pleine lune. De quoi effrayer les loups eux-mêmes. De ce qu’on lui en avait dit car Valentina gardait des souvenirs trop épars de ces nuits pour en être certaine. Guy en revanche en était arrivé à un stade où il gardait un certain contrôle. Ce n’était pas une conscience totale selon lui, plutôt comme si la bête qu’il devenait se souvenait de qui étaient ses amis ou ses maîtres, des règles de bases, et comprenaient les mots qu’on lui adressaient sans difficulté. Avec lui, les deux Vampires s’étaient efforcés de canaliser les deux autres Lycanthropes, de leur éviter de se diriger vers un précédent village qu’ils avaient quitté rapidement précisément pour cette raison. Elle était heureuse de cette façon de faire. Ainsi, elle ne tuait pas d’innocent ni ne provoquait de tragédie, sans pour autant être enfermée dans une cage comme ses congénères citadins. Pas un moment Valentina ne regretta sa bonne conduite qui l’avait menée à être considérée comme méritant suffisamment la confiance des Noctambules pour leur servir d’escorte dans de longs voyages. Prendre soin d’eux durant le jour et leur obéir durant la nuit ne lui paraissait pas cher payé en échange d’une conscience sans tâche. D’autant que les Vampires qui se lançaient sur les routes, comme ceux qu’ils accompagnaient présentement, n’étaient pas coutumiers des mêmes caprices trop communs aux individus qui ne sortaient jamais de leurs palais.

L’un des carnivores hurla à la lune éclairant encore extraordinairement les environs. Il semblait en avant de leur petite troupe. Un autre lui répondit et ils eurent l’air de tous disparaître dans le bois. Presque immédiatement après cela, Valentina vit Giacommi se redresser sur sa selle, nez en l’air, elle fit de même, comme Guy lui-même.

-Il y a du feu devant, messires, fit remarquer le premier.
-On poursuit, répondit laconiquement Pietro.

Ils poursuivirent donc. Mais arrivés en haut d’une butte, Gabriele fit arrêter son cheval pommelé, tandis que Giacommi s’écartait, les narines toujours ouvertes.

-Agar. Là.

Le Vampire leur désignait un point lumineux à peine visible pour Guy, et qui aurait aussi bien pu être une plaisanterie pour ce que les deux autres Lycans pouvaient en voir. Le second Nosferatu hocha lentement la tête lorsque Gabriele lui ouvrit ses pensées, lui permettant de voir au travers de ses yeux : c’était un feu de camp, de toutes évidences.

-Allons voir. Peut-être sauront-ils nous indiquer quelque chemin qui nous éviterait de remonter toutes les lieues que nous avons déjà couvertes. Et armes rangées, Guy ! Je ne veux pas d’incident parce qu’ils nous prendraient pour des ennemis. Qui qu’ils soient, nous serons de leur camp.

De la sécurité il ne fut pas question. Comment auraient-ils pu craindre des mortels en pareilles circonstances ? S’ils avaient tous été tant aux aguets jusqu’alors c’était uniquement pour rechercher une brèche parmi les arbres, une indication d’un sentier qui saurait les mener au col qu’ils visaient sans avoir à passer par la congère. Le Vampire aveugle révéla alors son utilité, comme ils ne se trouvaient plus très loin de la flambée aux relents résineux. Sa cécité paraissait avoir augmenté d’autant sa capacité à espionner les pensées humaines, quand bien même ses autres sens si développés annulaient quasiment le handicap que constituait l’absence de vision. Après un temps « d’observation », il ouvrit sa bouche aux lèvres si fines et longues qu’elles lui donnaient un air de cruauté rentrée permanente :

-Nous serons donc tous Francs ce soir. Jacques, Gabriel, Guy, moi-même Pierre, et Valentine, sœur de Jacques, qui nous accompagnerait pour se marier en Italie. Seuls moi et Gabriele, ainsi que Guy puisqu’il vient de ce pays, pourront parler en leur présence. Vous autres serez d’anciens soldats, ayant servis en Normandie contre les félons sous feu le roi Henri Ier. Je serai un clerc en provenance de Reims. Et allumez les torches.

Et puis d’un air pensif et frustré, murmurant comme pour lui-même :

-Ils ont peur… Mais de quoi ? Je ne saurai dire. Ces coquefredouilles s’y refusent même à y penser…

Et tandis qu’ils reprenaient leur route, après que Giacommi, en talentueux aerokynésiste qu’il était, leur eut permis d’enflammer leurs torches préservées le temps qu’il fallait des bourrasques, la neige commença peu à peu d’affaiblir sa chute.
C’était une des raisons pour lesquelles, de façon surprenante, Gabriele appréciait tant Pietro : cette aisance à les faire faire se passer pour n’importe qui pourvu que ce soit utile. C’est que l’aveugle n’avait pas que des atouts. Il était connu pour son ambition dévorante, se rêvait haut conseiller, ou occupant d’une haute charge qui n’existait pas encore mais serait créée toute exprès pour ses capacités qu’il estimait grandes, naturellement. Il était le seul des cinq à participer à ce voyage uniquement dans le but de se rehausser aux yeux du dirigeant du clan. Les Lycans n’avaient eu qu’à obéir, ce qui leur convenait parfaitement, étant donné que cela leur offrait une vie de voyages et loin des obligations palatiales. Gabriele y voyait un moyen de découvrir, de combler sa faim de connaissances et de voyages, de s’éloigner des intrigues de Venise, d’être utile tout en y joignant de l’agréable.
A aucun moment il n’aurait pu être remis en doute la loyauté et la gratitude qu’il vouait à son créateur. La vie qui lui avait été offerte était un présent d’une préciosité incroyable. Mais les débuts n’avaient cependant pas été sans peine. Ni noble, ni bourgeois, Gabriele avait été plongé presque sans transition dans un monde de luxe et de non-dits, d’apparences et d’intrigues. S’il avait appris à s’y couler, il ne se sentait toujours pas appartenir à ce monde riche et élitiste, s’il avait gagné en culture il n’en oubliait pas son passé, s’il en venait à porter les plus riches vêtements avec aisance, il ne pouvait se départir de l’éternelle impression de porter un costume plutôt qu’une vêture. Sans compter les mœurs… Avant d’être transformé, il aurait assuré, et en toute bonne foi, être une personne très tolérante quant aux modes de vie de chacun, se fichant des droits et des travers, des vices et des vertus comme de l’an quarante. Las ! Il avait bien fallu se rendre compte que ce n’était pas tant le cas, que sans s’en rendre compte, quoi de plus normal, il avait été lui aussi sculpté par la société dans laquelle il avait vécu. Société superstitieuse dans laquelle on ne riait jamais complètement franchement du destin des âmes. Société chrétienne où l’on n’aurait jamais vu deux hommes s’embrasser ouvertement. Société hiérarchique où une fille de tailleur n’aurait jamais pu prétendre commander à un fils de comte. Ca avait été en partie ce qui l’avait décidé à se proposer comme messager entre les différentes cités abritant des Vampires et Venise, une façon d’être utile en échappant à un chambardement trop brutal, à un mode de vie qui ne lui allait pas. Le temps de s’adapter… Il n’y avait pas que cela. Il y avait aussi le trouble dans lequel Alessandro le plongeait parfois. Gabriele avait été de tous temps un fieffé coureur de jupons, et son époque étant ce qu’elle était, cela lui allait au mieux, n’avait nécessité aucun questionnement. Les milieux masculins c’étaient pour la camaraderie, les beuveries, les jeux de cartes ou de cotel, la guerre… L’intérêt que lui portait son créateur ne relevait d’aucune de ces choses. Loin s’en fallait. Ce qui provoquait une gêne terrible chez le jeune Vampire déchiré entre le rejet des amours masculins que sa société avait rendu viscéral et sujet à la honte et à l’opprobre, et le désir de se montrer à la hauteur du cadeau que lui avait fait le chef de clan en faisant de lui un Vampire. Entre caresses terriblement tentatrices et refus violent d’être l’un de ceux qui se trouvaient être la cible privilégiée de toute plaisanterie virile, et depuis de nombreux siècles, même si ce n’était que pour une exception, un seul homme. Tout cela s’amalgamait en un nuage d’ambiguïtés qu’il ne cherchait surtout pas à comprendre. Et pour parfaire le tout il y avait Livio et les coups pendables que sa jalousie lui faisait inventer.
Non décidément, ces voyages-là étaient parfaits, qui faisaient mentir le terme de « morts-vivants ». Loin du déséquilibre dangereux, de son ego de mâle mis à mal (à tort ou à raison), des rumeurs et des réputations. Pourtant on dit que rien ne résiste au temps. Et sans même s’en apercevoir, les décennies jouant leur jeu, Gabriele, lentement, avait commencé de changer, dans ses principes comme ses envies. Il faut croire que les Vampires ont, à la façon des mortels, eux aussi leur période de maturation, où se définit pendant un certain laps de temps, l’Immortel qu’ils seront jusqu’à leur mort si tant est qu’elle vienne un jour.

Mais il était loin de ces pensées-là, lorsqu’ils entendirent la voix d’un homme, exiger dans le patois local qu’ils se présentent et leur sommer d’expliquer leur arrivée en ces lieux en pleine nuit. Jouant son jeu à la perfection, Pietro fit celui qui ne comprenait pas et se présenta dans un latin patiné de français parisien, ainsi que ses compagnons, demandant s’il leur était possible de rencontrer céans, le responsable des dits-lieux. Un homme apparut alors qui se tenait dans l’ombre d’un grand pin, ignorant que les nouveaux-venus avaient décelés sa présence depuis belle-lurette. Il était de haute stature, la tête brune découverte, le poil broussailleux mais le visage jeune, portant cotte et tabard sous une lourde cape de peau de loup, et épée au côté. Un noble.

-C’est moi. Je suis Guillaume, fils ains-né du seigneur de ces terres, le baron d’Alpleix. Mon sergent vous demandait la raison de votre présence ici, voyageurs nocturnes. Parlez vite et ne mentez point, car nous ne sommes point là nous-même pour veiller à la sécurité de ceux qui s’aventurent sur nos routes de nuit.

Guy émit un bruit de dédain à l’entente du mot « route », s’attirant un regard mauvais du fils d’Alpleix. Mais malgré que celui-ci se fut donné de la peine à mettre de la fermeté dans sa voix, il était clair qu’il était loin d’être aussi sûr de lui qu’il voulait s’en donner l’air. En vérité on commençait même de sentir des effluves de peur, provenant de la douzaine d’hommes alentours. Pietro avait vu juste, comme de coutume.

-Nous devons nous rendre en Italie. Je suis clerc, et mon maître, évêque de Paris, m’envoie à Rome où je dois délivrer un message à un cardinal que la mort ne tardera plus à prendre si bien qu’il me faut me hâter à lui transmettre ce courrier avant qu’il ne trépasse. Un mien cousin m’a prié de profiter de ce voyage et des soudoyers qui me compagnent pour ma sécurité pour mener sa sœur à celui qu’elle devra marier au Printemps. A Rome lui aussi.
Vous êtes donc Francs ?
-Oui-da, messire Guillaume. Et si vous nous voyez sur vos routes en pleine nuit. C’est que nous comptions camper de l’autre côté du col. Mal nous en pris, nous eûmes mieux fait de rester au dernier village car une congère nous bloque le passage. Je suis en grand empressement de retrouver la ville sainte au plus vite, vous qui connaissez le pays, serez-vous bon assez pour nous indiquer un chemin qui soit praticable pour nos montures et nous-mêmes ?
-Las ! C’est bien grande presse en vérité pour vous faire chevaucher la nuit… Ma foi, il se peut que je connaisse un homme qui saura vous guider jusque de l’autre côté du col, mais il ne saurait accepter de faire le trajet loin de la lumière du soleil. Comme s’il ne nous suffisait de la disette de cet hiver interminable, nous… Certains villages ont été frappés du sceau du Mal. Mais relevez un peu votre capuche messire Pierre, je n’ai pas eu l’heur de voir votre visage.

Si celle de Gabriele laissait loisir aux observateurs de découvrir son visage, on comprend la curiosité qui pouvait naître face à Pietro dont la face restait résolument dans l’ombre. Pourtant celui-ci s’exécuta, rejetant brièvement l’étoffe en arrière avant de la remettre en place. Ceux qui virent durant ce court instant les yeux blanchâtres au beau milieu de ces traits superbes mais cruels, eurent un mouvement de recul.

-Eh bien ?
-Le bien étrange clerc que voilà qui ne peut lire ni écrire.
-Messire, nombreux sont les ânes capables de lire sans même comprendre les mots qu’ils braient. Mais j’ai bien des atouts dans ma manche en plus d’une fort bonne mémoire. Je pourrai vous citer la Bible s’il vous plaisait. Hors ça messire Guillaume ! Décidez-vous ! Nous désignerez-vous comme des ennemis ou des indésirables, ou agirez-vous comme tout bon chrétien se doit de le faire : en nous aidant.
-Tout doux ! Ne soyez donc pas insulté par mes paroles, c’est que la méfiance peut sauver bien des vies par les temps qui courent. Néanmoins, ce fief fut offert à mon aïeul par Charlemagne en personne qui l’arma chevalier. Et ceci pour sécuriser le chemin de l’Italie. Depuis, tout représentant du Royaume de France est bienvenu en ces lieux. Joignez-vous donc à nous autour du feu. Nous n’avons que peu à offrir à manger, mais peut-être trouverons-nous un moyen de convaincre Crôleux de vous guider demain matin jusqu’au col.

Giacommi attendit un signe d’assentiment du Vampire aveugle pour pousser son cheval en avant, suivant l’homme d’arme qui le mena jusqu’au feu. D’ailleurs aveugle, Pietro ne l’était plus tant à présent qu’il était entouré d’esprits mortels incapables de se protéger de ses intrusions. Il voyait par ces nombreux yeux. Il sentait qu’à la peur qu’il n’arrivait pas à définir s’en ajoutait une autre : les hommes auraient préféré que leur jeune seigneur éloignât les nouveaux-venus. Ces cinq cavaliers avaient un aspect assez sinistre, même la femme. Tous armés, tous avec l’air d'avoir parcouru plus de routes qu’ils n’en verraient jamais. Tous avaient le regards d’êtres rompus aux fourberies et aléas de la Fortune. Sauf l’Aveugle bien entendu. Celui-là, ceux qui l’avaient vu le trouvaient pire encore que les quatre autres. Pour ceux qui ne l’avaient pas aperçu, c’était le colosse qui les inquiétait le plus, avec sa méchante manie de claquer des mâchoires sans avoir l’air de s’en rendre compte. On aurait dit qu’avec ces mains-là il aurait pu broyer un crâne sans difficulté. Mais les plus fins, les deux vétérans des soldats, sentaient qu’en vérité nul n’était à sous-estimer. Pas-même leur chef de file qui semblait ne pas sentir le poids de sa cotte. Pas-même cet autre encapuchonné qui se mouvait comme s’il n’y avait ni froid ni neige. Pas-même cette femelle dont les yeux brillaient des souffrances qu’elle vous infligerait si vous ne posiez ne serait-ce qu’un instant votre main sur elle.
Il allait falloir la jouer fine, songea Pietro alors qu’il s’asseyait comme les autres auprès du feu, dos aux flammes, pour trouver ce Crôleux et le convaincre de les guider. Et en pleine nuit bien entendu. C’était sans compter bien sûr sur la jeunesse, la curiosité et l’impétuosité de son congénère.

-Vous avez parlé de villages frappés par.. quelque plaie, Messire. Que leur est-il arrivé ?

Il aurait fallu être obtus pour passer à côté du frisson qui prit tous les hommes ayant entendu la question. Et ce n’était pas le froid.

-Eh bien… Pour vous dire le vrai… Nous sommes ici pour combattre ce mal. Mais il est fuyant et nous précède toujours dans ses exactions.

*Et vous n’êtes pas pressés de le rattraper* ajouta silencieusement Pietro. Guillaume semblait peu enclin à leur en dire plus. Sa méfiance envers ces étrangers étaient trop forte. Qu’importe ! Qu’ils règlent donc leur problème seuls. Alors que l’Aveugle s’apprêtait à relancer la conversation sur ce nécessaire Crôleux, Gabriele ôta sa capuche dans un geste qui évoquait parfaitement le contentement qu’un mortel aurait pu trouver à se retrouver près d’un feu, la neige ne tombant plus. Tout aveugle qu'il fût, son aîné pourtant lui jeta un regard noir et réprobateur : sans ombre portée, le visage du jeune Vampire ne faisait plus le même effet, animé qu’il était entre le jeu des flammes et la lumière de la lune réverbérée par le tapis blanc. Sa peau n’en paraissait que plus pâle et ses yeux plus étranges. En un sifflement mental furieux, il enjoignit à son cadet de dissimuler à nouveau ses traits. Mais pour la réaction que cela provoqua chez l’autre, il aurait pu tout aussi bien ne pas être télépathe et s’adresser à un mur.
Moins obsédé par la préservation des apparences, Guy remarqua cependant que ce n’était pas une si mauvaise chose de révéler la beauté vampirique à ce moment précis. La beauté a toujours inspiré la confiance et l’envie de plaire, un beau visage sait parfois rendre bavard. Le loup attendit la question qui viendrait, forcément, de Gabriele :

-Mais encore ? Est-ce si terrible Messire, qu’en parler seulement vous crée tant de malaise ?
-Non ! … Si… C’est aux premières neiges que tout commença. Une jeune fille disparut d’un village, puis une autre. Nous mîmes cela sur le compte de coupes-jarrets comme la faim en a tant jeté sur les routes. Ces males-gens aiment à forcer les filles autant qu’à tuer l’homme de bien. Mais nous nous trompions. De ces pauvrettes, nous ne retrouvâmes que deux crânes et laissés en évidence encore. Nous n’eûmes pas même le temps de poursuivre nos recherches que déjà d’autres disparus allongeaient la liste. Et chaque fois nous retrouvions un trophée macabre, certains… Plus écœurants que de simples crânes. Certains villageois ont aperçu des créatures étranges et sombres. Ils dirent que leurs gueules étaient tant monstrueuses qu’elles auraient pu avaler un enfant sans le briser. Mais vous connaissez la propension des gueux à tout exagérer pourvu qu’ils aient peur. Rien n’avait prouvé jusqu’alors qu’il s’agissait de monstres. Et pourtant, ces démons décimèrent plusieurs villages, ils les saignèrent peu à peu. Certains endroits semblent n’être plus habités que par des fantômes. Plus personne n’ose s’aventurer sur les routes, seuls ou en compagnie, à notre exception. Et la vôtre à présent. Mais là n’est pas le pire. J’ai déjà vu ce dont sont capables les hommes, et je pensais jusqu’alors qu’il était possible que ce fût l’œuvre de quelques satanistes hérétiques cherchant à accomplir les rites de leur secte maudite. Et j’étais bien le seul, nombre de mes hommes étaient, et sont toujours persuadés que ce sont démons des temps anciens qui sont venus se revancher de nous. Par ma foi ! Je commence à craindre que ce ne soit la vérité. Car ce que nous avons découvert ce matin… Ah ! Quel homme pourrait commettre pareille boucherie ?! Je n’ai jamais vu telle horreur, à vous faire vomir sang et tripes…

Guillaume se tut. Son visage était crispé en une expression de dégoût et de peur. Giacommi et Valentina jetèrent alors des coups d’œil discrets mais inquiets vers les deux Vampires et Guy : se pouvaient-ils que ce fut leur œuvre ? Que la pleine lune les ait menés à ce village ? Mais Pietro les rassura par quelques souvenirs qu’il leur transmis : ils avaient tous été dans la direction opposée à celle que leur désignait le jeune seigneur.

-Le Seigneur nous vienne en aide…, murmura un soldat.

Et tous se signèrent. Au travers des yeux des hommes, Pietro vit son jeune congénère sur le point d’ouvrir la bouche, nullement affecté par la peur des mortels. A vrai dire l’Aveugle n’était pas sûr que même s’il avait vu les souvenirs de Guillaume, comme il en était capable lui-même, cela aurait changé grand chose pour Gabriele. Celui-ci avait une sensibilité très particulière qui ne s’émouvait guère des souffrances des autres. Oh le Vampire aux yeux blancs ne se sentait pas franchement éprouvé non plus par les images qui lui parvenaient enfin, celles qui avaient provoqué cette fameuse peur. Mais il lui avait fallu plus de temps, et quand bien même, ce n’était pas de la même nature. Gabriele prenait les choses avec une telle légèreté… Quoi qu’il en soit il n’était pas question de le laisser parler une fois encore et Pietro ramena fermement la conversation sur l’unique sujet qui l’intéressait. Que les humains réglassent leurs problèmes seuls !

-Le Malin prend bien des formes il est vrai. Dieu nous en garde tous. Je comprends mieux votre mésaise à notre égard messire Guillaume. Mais c’est raison de plus pour nous de quitter rapidement le pays et de ne pas nous attarder alentours à tenter le Diable. N’y a-t-il aucun moyen d’obtenir de ce Crôleux qu’il nous guide cette nuit ? Nous payerons bien.
-Ah… Vous ne le connaissez pas.. Il est un peu.. sauvage. Ne parle quasiment et n’a pas l’air de beaucoup penser. Mais si vous lui demandez de vous emmener quelque part il le fera. Seulement, la peur le touche comme tout le monde, et il refuse de sortir sitôt la nuit tombée. Tout l’or du monde ne l’en délogerait pas je le crains. Une mule serait moins têtue.
-Diable ! N’y a-t-il aucun autre moyen que d’attendre l’aube ?

Guillaume fit un signe de dénégation et Pietro commença de penser qu’il allait leur falloir risquer de prendre à travers bois, au risque de se perdre. Car comment tirer un itinéraire d’une tête qui ne pensait pas ?

-En vérité je ne suis pas sûr qu’il vous guide même de jour.
-En somme, nous ne pouvons rien espérer tant que plane sur vos terres la menace que vous nous avez comptée.

De nouveau les yeux convergèrent vers Gabriele. De dessous son lourd manteau, l’Aveugle se figea, admonestant de toute les façons possibles son cadet de ne pas poursuivre dans la voie qu’il semblait ouvrir.

-C’est cela.
-Et si nous vous proposions, Messire, de vous débarrasser de ce fléau ? Serons-nous assuré d’avoir enfin notre guide ? Et à quelque heure que ce soit ?
-Oui-da, mais..
-Gabriel ! C’est là trop grand péril, et que nous ne pouvons risquer.
-Ah ça, messire Pierre ! Vous êtes clerc et je conçois bien que le danger doit vous paraître fort grand. Et sans doute l’est-il pour qui n’est pas aguerri. Mais n’est-ce pour cela que vous nous avez engagés, Jacques, Guy et moi-même ? Nous ne sommes point des villageois aisés à berner et à tuer. Ou serait-ce que vous n’auriez pas la charité d’aider ces gens.. ? ..

* Maudit sois-tu ! Nous avons mieux à faire qu’à nous mêler des affaires mortelles !*, lança furieusement Pietro à l’esprit du jeune Vampire qui ne fit qu’allonger son sourire sinueux, les yeux brillants. Si les hommes ne pouvaient qu’être ahuris face à cette absence de peur, voir cette presque joie à l’idée de se frotter à La Menace, leurs yeux s’arrondir proprement à la vision du colosse qui se retenait, assez mal, de céder à un soudain fou-rire. Naturellement les Lycanthropes avaient eux aussi compris le tour que venait de jouer Gabriele à son aîné, contournant la hiérarchie pour satisfaire sa propre curiosité et sa soif d’action après ces longues nuits de simples chasses et chevauchées. Pleine lune exceptée. Sans compter l’espérance que ce danger ne se tint en la personne de nombreux hommes auxquels cas il pourrait enfin se nourrir du sang humain auquel il appétait un peu plus chaque nuit.
Giacommi se contentait d’observer. Valentina avait retrouvé son léger sourire, toute pétrie qu’elle était de nobles idées et donc gagnée à la cause de Gabriele puisqu’il s’agissait de porter secours à des innocents. Guillaume en revanche promenait un regard éberlué sur les cinq voyageurs, de l’Aveugle qui semblait plus encoléré qu’apeuré, jusqu’au géant pris d’hilarité. Hilarité qui cessa d’un coup, après l’ordre muet qu’il reçut de l’Aveugle de se tenir à carreaux. Etaient-ils donc tous fous ?

-C’est avec grande joie que j’accepterais votre aide, vétérans. Mais vous ne semblez pas prendre la mesure du danger ! Vous n’êtes que cinq ! Dont un clerc et une femme.
-Que vous importe, messire, que nous réussissions ou essuyions un échec, vous n’avez rien à perdre. Vous ignorez ce qu’on apprend de la guerre quand on y survit. Souffrez donc que nous tentions notre chance afin que nous puissions rejoindre au plus vite les terres d’Italie. Revenir plus avant sur nos pas nous ferait perdre bien trop de temps, nous pourrions rejoindre l’autre versant au Printemps et nous risquerions même de nous trouver embourbés par la fonte des glaciers !

On s’en doute l’argument n’était pas seulement destiné aux oreilles de Guillaume. Quoi qu’il en soit il ne se passa guère de temps avant qu’ils ne se retrouvassent de nouveau tous les cinq en selle, les chevaux plus vivaces à présent que la neige ne tombait plus et qu’ils s’étaient repu du fourrage qu’on leur avait fourni. Ils passaient au travers d’un petit bois, prenant la direction du dernier village atteint par les meurtreries, lorsque Pietro ouvrit de nouveau la bouche :

-A l’avenir, je compte bien que tu ne prennes pas de décision seul. Tu n’as même pas atteint cent ans et tu es encore ignorant de bien des choses.
-Vraiment ? Et que pouvait-on espérer autrement ? Rien ne dit que nous serons obligés d’aller au bout de cet engagement. Il se peut que les hommes qui ont massacrés les villageois connaissent suffisamment le pays pour que n’ayons pas même besoin de ce Crôleux. Ce ne serait guère surprenant au vu de leur habileté à éviter les hommes de cet Alpeix.
-Et s’il ne s’agit pas d’hommes ? Je t’ai laissé faire, Gabriele, parce que sur plusieurs points je partage ton avis. Mais tu es trop sûr de notre force face à ce que nous ne connaissons pas. A la vérité j’espère que nous trouverons nous-mêmes une sente avant d’avoir à nous mêler de cette histoire de quelque façon que ce soit.
-Et pourquoi ne s’agirait-il pas de mortels ? Contrairement aux dires de ce nobliaud, les hommes n’ont pas de limite à la sauvagerie, surtout en période de disette. C’est poudre aux yeux pour se préserver la conscience que de parler de Diable et de monstres là où..
-J’entends bien. Je le sais ! Mes yeux sont morts mais j’en ai vu plus que toi. J’ai vu les souvenirs de ces hommes. Et s’il peut s’agir d’hommes, alors ceux-là sont des fous cruels et pervers !
-… Qui étiez-vous avant d’être un Vampire ?
-Que t’importe !
-Qui ?
-… Un cadet de la noblesse de Ravenne. Ma cécité me mena aux ordres bien que je n’en eus guère le goût, mais je grimpai cependant assez vite les échelons et en appris beaucoup en alchimie. Ta curiosité est-elle satisfaite ?

Le silence lui répondit mais il sentait presque les réflexions des quatre autres cavaliers malgré qu’ils surent tous comment se défendre des télépathes. Il devinait leurs opinions : que pouvait-il bien connaître des conflits, des extrémités auxquelles on était parfois contraint dans la misère ? Comment dès lors pouvait-il juger des images qu’il avait vu toutes horribles qu’elles aient pu être. D’agacement Pietro en claqua la langue. Eh bien l’on verrait… Lorsque les restes du village seraient atteints, peut-être les avis changeraient-ils.
Le Vampire escomptait que le silence durerait jusqu’à ce qu’ils atteignassent leur but, mais il ne se passa pas si longtemps avant que la voix de Gabriele, n’atteint de nouveau ses tympans. Aussi basse que l’avait été jusqu’ici leur conversation.

-Vous avez plus d’expérience que je n’en ai. Alors en admettant… Si ce ne sont pas de pauvres hères rendus fous furieux par une vie médiocre ou misérable, et dont la faim aurait définitivement retourné la cervelle, alors quoi ?

Pietro étouffa un sourire de satisfaction. Il était rassuré également par cet accès de tempérance de son cadet qu’il trouvait parfois trop emporté. Le jeune Vampire était finalement plus réfléchi qu’il ne s’en donnait l’air.

-Un immortel.
-Un immortel ? Aucun Vampire n’agirait de la sorte. Il est vrai que le massacre de la dernière nuit aurait pu être le fait de Lycanthropes sauvages, mais ça ne correspond pas aux trophées macabres qui ont été retrouvés auparavant. Ils sont si peu nombreux, et ne savent même ce qu’ils sont. Je doute qu’ils provoquent ainsi des villageois.
-Je sais. Et durant la pleine lune, ils sont féroces et sauvages, mais nullement vicieux et pervers comme ce que j’ai vu.
-Cela ne laisse que les Démons ? Mais ils se terrent depuis des siècles.
-Et quel meilleur endroit qu’une montagne bloquée par la neige ?

Deux chevaux au-devant Gabriele fronça les sourcils. Mais de manière surprenante ce ne fut pas lui qui reprit la parole mais Guy :

-Même si c’est un Démon, contre deux Vampires et trois Lycans, il n’a aucune chance.. maître.

Le géant avait toujours eu du mal avec ce mot « maître ». Mais il obéissait toujours. Si bien que chacun s’était habitué à l’entendre prononcer le mot fatidique toujours avec un temps de retard. Cependant ce n’était pas à un Garou de lui faire ce genre de remarques. Ce maudit colosse oubliait ces derniers temps où se trouvait sa place. Aussi Pietro répondit d’une voix mielleuse et mauvaise :

-Ah oui ? Et s’il y en a plus d’un ? Et s’ils nous perçoivent avant..
-Baste! Nous saurons assez tôt ce qu’il en est. En attendant, je reconnais que vous avez peut-être raison concernant le danger qui pourrait se trouver là-bas. Et dans ce cas nous ferions mieux d’être aux aguets.

Et voilà pourquoi Pietro, lui, n’aimait pas ce genre de missions, qu’il n’acceptait que pour servir son ambition : il fallait toujours subir les insolences de jeunes blancs-becs. Lorsque c’était des Lycans c’était simple. Un ordre et tout rentrait dans l’ordre, puisque après tout les Garous qui les accompagnaient étaient triés sur le volet, parmi les plus obéissants. Mais lorsque c’était des Vampires… Le pire étant sûrement Gabriele parce qu’il n’avait même pas le bon goût d’être absolument détestable, hautain, stupide ou naïf. Ce jeune-là avait le don de le faire tourner en bourrique, par exemple en passant trop rapidement de l’assurance à une attitude plus humble qui se transformait en impétuosité..
La neige tombait de nouveau et les deux Noctambules furent forcés de rabattre de nouveau leur capuchon lorsque les flocons commencèrent de s’amonceler autant dans leurs cheveux que sur leur front ou l’arête de leur nez. A peu près en même temps, ils sentirent l’Odeur.

Cette immondice les accompagna, les guida jusqu’à ce qui restait du village. Pietro exigea de Giacommi qu’il lui permit de voir par ses yeux. Il voulait voir la réaction de Gabriele et Guy, et même celle de Valentina face à la scène qui les attendait. Petite vengeance personnelle. Oh oui petite, toute petite vengeance en vérité. Contrairement à ce à quoi il s’attendait, la seule vraie réaction fut un reniflement dégoûté de la part de la louve. Ce fut tout. Descendus de leurs chevaux nerveux, les trois Lycans avaient déneigés un peu et Gabriele les avait accompagné dans les maisons et l’église. Et bon sang, même s’ils n’avaient pas l’air ravis, ils semblaient plus observer que se scandaliser de l’horreur qui avait été perpétrée ici. Se rendaient-il compte qu’ils avaient tous exactement la même expression : vaguement boudeuse, assez songeuse, nullement nauséeuse. Pour la première fois, Pietro se posa des questions sur leurs passés. A tous les quatre. Lui avait découvert la vue avec le Vampirisme. Mais même en devenant une créature hématophage, il avait été relativement épargné par la vue de la douleur passée ou présente. Pour lui, la mort que lui et son congénère provoquait, était propre et naturelle. C’était une époque calme et quasi faste pour les Vampires, bien au contraire de la situation des humains. Si bien qu’il ne connaissait en fait pratiquement rien de la violence, la vraie.

Il était tant plongé dans ses réflexions qu’il remarqua au dernier moment que la vue de Giacommi l’englobait lui et Gabriele arrivé à sa hauteur et levant la tête vers lui avec un sourire rentré. Drôle de sourire, un peu malicieux, un peu mélancolique.

-Ca pourrait être des humains. Qui auraient… perdu le sens commun, sûrement mais.. maugré ça, ça pourrait quand même être des hommes qui ont tué ces gens.
-Pourtant tu peux voir ce qui leur est arrivé ?! Rien que l’odeur m’en révulse.

Un bref silence, pendant lequel il vit au travers des yeux du Lycan un Gabriele qui baissait la tête et jetait un regard alentour comme pour se donner le temps de répondre. Et, le vieux Vampire avait du mal à y croire, mais l’expression de son cadet était celle d’un père qui ne sait pas comment expliquer à son enfant, sans le bouleverser, une évidence difficile telle que : chacun meurt un jour.

-Tu as déjà assisté à une exécution ou un supplice ?
-Diable non et je n’en ai pas l’intention. Je suis un Vampire. Pas un Démon se repaissant de la douleur des autres.
-Ce n’est pas d’observer le supplice lui-même qui t’instruirait. C’est la foule.

Pietro n’aimait guère ce soudain tutoiement et l’implication des paroles, mais étant donné les circonstances il ne pouvait y faire grand chose. Du statut de meneur expérimenté, il venait de passer à celui de naïf.


Guy se désintéressa de la scène. Les loups étaient de retour il les avait sentis. Lorsqu’il se tourna vers la frontière du village, il les vit, un peu plus nombreux qu’il ne l’aurait cru. Ils étaient tous sagement alignés, debout ou assis sur leur postérieur, observant les cinq voyageurs avec attention. Ceux dont la gueule était ouverte sur leur langue rouge semblaient sourire. Et c’est ce qui lui mit la puce à l’oreille. Il fallait connaître sacrément bien ces bestiaux pour saisir la nuance, mais certains venaient d’arriver tandis que d’autres étaient là depuis plus longtemps : pourtant tous semblaient presque surveiller les nouveaux arrivants, bien que s’en cachant. En les observant un peu plus attentivement, il en vit deux qui tournaient la tête régulièrement et le plus discrètement possible vers l’autre bout du hameau. Le Lycan fit quelques pas d’un air décidé dans la direction : un loup lâcha un jappement qu’il parût regretter sitôt qu’il vit le bipède s’arrêter net pour le scruter. Les autres animaux avaient changé d’attitude, certains se mouvant, d’autres s’allongeant le museau entre les pattes. Pas vus, pas pris : eh bah c’était raté. Sans doute alertés par le cri de leur congénère deux de ces prédateurs apparurent en bordure des habitations trottinant rapidement vers leur meute, mais jetant de fréquents regards de regret vers l’endroit qu’ils avaient quitté. Guy ne perdit guère de temps à le rejoindre. Les empreinte que les carnivores avaient laissé menaient à la porte défoncée d’une maison de vieilles pierres, il était passé devant sans y prêter attention lors de la ronde qu’ils avaient effectuer plus tôt. Inutile de chercher des cadavres en plus de ceux qui se trouvaient déjà dehors. Le nombre l’avait d’ailleurs surpris de prime abord : c’était un village reculé, en altitude. Mais à la réflexion, la rudesse de l’hiver avait dû obliger tous les habitants des alentours à se regrouper autour des réserves et de l’église. En des temps difficiles, on se sert les coudes. Et il n’y avait sûrement pas d’agglomération plus grande à des lieues à la ronde.

Mais puisque l’endroit avait paru intéressant aux yeux des loups… Il huma l’air, lentement, prenant le temps d’analyser. Difficile. Malgré la neige l’odeur du sang et des tripes surpassait toutes les autres. Il entra donc précautionneusement, restant quelques instants dans l’encoignure, laissant ses yeux s’habituer à l’obscurité et regrettant très passagèrement de ne pas posséder la vue de Vampire. Tandis qu’il se trouvait immobile il entendit le grincement du bois. Sa tête pivota immédiatement dans la direction et ses narines captèrent alors une odeur de sueur froide. Vers la cheminée. Devant laquelle avait été retournée une table. Laquelle table avait été visiblement amochée par des morsures de loups. Sans autre forme d’hésitation, le Garou entra complètement, se courbant pour éviter à sa tête de cogner contre le plafond et saisit de ses bras puissants la table qu’il balança derrière lui comme si elle ne pesait rien. L’effet ne se fit guère attendre : un hurlement strident lui vrilla les tympans, le faisant reculer d’un pas plus sûrement que si on l’avait menacer d’une arme. L’origine de ce son infâme sembla penser que c’était le moment parfait pour prendre la fuite. C’était sans compter sur la rapidité de son adversaire. Guy se saisit prestement de ce qui lui passait sous la main et souleva le tout avec plus de facilité encore qu’il n’en avait eu pour le meuble. Et ce faisant, il se redressa avec brusquerie, sa tête lui rappelant alors brutalement le peu de hauteur du plafond. La bardée de jurons qui fut alors lâchée d’une voix furieuse devait être franchement effrayante car après ses oreilles et son crâne, ce fut son odorat qui pâtit d’une odeur acide qui ne laissait guère de doute : quoi qu’il ait attrapé, la créature s’était faite dessus. Mieux valait sortir.

Ils étaient déjà là, les quatre autres, sûrement attirés par le cri ou la curiosité. Et les loups aussi. Inquiet du sort qu’on allait faire à leur gibier. On pouvait les comprendre, si à la ronde ils ne manquaient plus de viande désormais, celle-ci avait eu le temps de geler. Une proie encore vivante et réchauffée de sang bien puissant, c’était autre chose. En fait, lorsque le Lycan leva les yeux vers ses compagnons de route, ce fut pour constater que les loups n’étaient pas les moins affamés. Pietro avait les lèvres entrouvertes, laissant voir une pointe de langue passer langoureusement entre ses dents. Et si le visage de Gabriele semblait parfaitement figé, ce n’était pas le cas de ses yeux qui s’enflammaient presque littéralement. Le gamin, puisque c’en était un, saignait. Chose que lui, Garou n’avait pas remarqué, pour ce que les effluves d’hémoglobines lui parvenaient de partout et que ce qui ressortait le plus du gosse étaient la puanteur de la sueur et de l’urine. Il sentit l’enfant se raidir dans sa poigne, baissa les yeux pour voir une peur panique dans le regard que le gamin lançait successivement aux deux Vampires et aux loups, comprenant instinctivement d’où venaient les dangers les plus grands. Alors, pour une raison qu’il ne sut jamais expliquer, Guy lâcha le petit derrière son dos massif.

-Pas celui-là.

C’était facile à dire… A obtenir en revanche… Les Noctambules n’avaient pas bu une goutte de sang humain depuis leur arrivée dans les Alpes, se contentant de celles des bêtes qu’ils chassaient au crépuscule. Chasse pas toujours fructueuse, ils n’avaient pas toujours le temps. Ils avaient dû de plus, côtoyer tous ces mortels un peu plus tôt dans la nuit, en donnant le change, uniquement dans l’espoir de finir par trouver leur chemin. Guy savait que s’il n’y avait pas eu l’espoir suscité par ce Crôleux, les deux Vampires seraient retournés sur leur pas et se seraient emparés de deux à quatre hommes lorsque le sommeil aurait pris la majorité d’entre eux. Niente. Et désormais ils avaient une créature blessée face à eux, et probablement aucun autre homme vivant alentours.

-Ecarte-toi. Tu oublies ta place !

Le ton était bas mais sec et mordant. Pietro ne plaisantait pas. Et tout aveugle qu’il fut, mieux valait ne pas le sous-estimer. D’autant qu’il n’était pas seul. Gabriele, malgré sa jeunesse, paraissait prêt à lâcher une sauvagerie habituellement plutôt bien domptée. Et au mieux les deux autres Lycans ne feraient rien. Au mieux. Jamais ils ne risqueraient leur place, de devenir la proie de chasse vampirique pour un mioche. Giacommi se fichait comme d’une guigne de l’avenir du marmot, il paraissait plus intéressé par l’altercation. Valentina… Valentina il le savait, laissait au destin le choix de l’existence de chacun, du moment qu’elle n’était pas, elle, la responsable directe du mauvais sort des innocents. Et d’ailleurs que lui prenait-il ? Lui non plus ne pouvait pas sacrifier une existence qui lui convenait pour une créature qui ne survivrait peut-être même pas aux prochains jours. Avec une répugnance visible, il s’écarta. L’enfant se mit à sangloter et ramper maladroitement vers les jambes épaisses de celui qui s’était fait si brièvement son protecteur. Ses mains nues dans la neige rougirent rapidement.

-Qu’il soit fait selon vos désirs.. maîtres. Mais… Ce n’est qu’un enfant. Il ne vous nourrirait même pas.

Et pourtant il en avait vu des gosses mourir. Seulement, bizarrement, il n’acceptait pas l’idée de voir celui-là pousser son dernier soupir ici. Peut-être était-ce l’endroit qui sentait trop la mort. Il y avait quelque chose d’éminemment tragique à l’idée que le petit ait pu être le seul survivant de la boucherie qui y avait eu lieu, uniquement pour finir sous les crocs de ses maîtres. Il les observa encore. Le plus jeune, les narines pulsant profondément, complètement fasciné par le gamin et ses entailles, ses doigts gorgés de sang, tant hypnotisé que ça en semblait être l’unique raison pour laquelle il ne s’était pas encore jeté dessus. L’autre le plus vieux,… Le plus vieux semblait songeur.
Pietro avait, avec difficulté, repris la maîtrise de ses pensées, tenant en laisse la faim qui s’était rappelée à lui aussi soudainement, et avec tant de force. Il sondait les pensées et les souvenirs confus et monstrueux de l’enfant. Mais une fois qu’il en eut tiré tout ce qu’il pouvait, la décision n’était toujours pas prise. Les loups leur tournaient autour à distance respectable, mais la bave coulait de la gueule de certains.
Et puis non ! Si quelqu’un d’aussi insensible que Guy lui-même ne supportait pas la fin de ce mioche, quel monstre serait-il, lui, s’il en devenait le bourreau ? Surtout après la révolte qu’il avait ressenti face à la barbarie qui avait eu lieu ici.

-Tu le gardes. Ou tu le laisses aller. Mais qu’il ne nous approche pas, ne nous retarde pas et ne nous pèse pas. Sinon il mourra. Et prends garde… La prochaine fois que tu te permettras ce genre d’insolences, tu le paieras cher.

Gabriele leva un regard furieux vers son aîné, puis secoua la tête en s’éloignant, cherchant de toute évidence à oublier ce repas manqué et la faim qui lui tordait les veines en étudiant plus en détail les alentours. Le Lycan acquiesça avec plus de reconnaissance qu’il n’escomptait. Sa surprise était compréhensible, c’était Pietro l’ambitieux, Pietro le politicien impitoyable, Pietro qui prenait plaisir à humilier ses adversaires, le lointain et distant Aveugle au sourire cruel qui venait d’écarter la menace de mort qui pesait sur un pauvre enfant mortel, anonyme et sans valeur. Il entendit une mâchoire claquer et un cri apeuré et vit l’un des loups qui avaient pris le désintérêt final des deux Vampires pour une autorisation à festoyer. Le Lycan émit un grondement guttural, les lèvres retroussées et la meute toute entière s’éloigna, à regret, du gosse. Leur frustration et leur colère étaient parfaitement visibles malgré leur éloignement. En fait leur attitude était tellement semblable à celle de Gabriele lorsqu’il était parti que c’était à se demander si le monde ne tournait pas soudainement à l’envers : deux vieux Immortels pris d’une pitié inconcevable pour un innocent plutôt que tous ses prédécesseurs, le Vampire plus proche du loup que le Lycanthrope.


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En parlant de Vampire.. Le plus jeune des deux avaient déjà presque rejoint l’autre extrémité du hameau, s’efforçant de faire taire la faim violente qui exigeait qu’il retournât là-bas tout de suite, faire ce que tout être vivant doué de bon-sens ferait : se nourrir. Mais à force d’observation, à défaut de la faire taire, il l’oubliait peu à peu. En dehors de la mise en scène macabre, voire obscène dans certains cas, si on faisait abstraction de l’horreur qu’avaient du vivre ces gens avant de mourir, l’impression qui se dégageait des cadavres était une boucherie. Littéralement. Plus il observait, et plus il était conforté dans cette idée qu’on n’avait pas découpé ces chairs au hasard ni dans l’unique but de faire mal ou d’horrifier. Il chercha le mot dans les recoins de sa mémoire, ça venait du grec et c’était… anthropophage. Et à présent qu’il le remettait il se souvenait aussi du mot de cannibalisme. Il en était de plus en plus sûr. Il s’agissait de mortels qui avaient agi ainsi, sûrement des bandes de gueux ou de soldats désœuvrés rendus essanés par la faim, laissant leurs plus vils penchants se déchaîner tout en contentant leur faim. Et maintenant qu’il y pensait, il n’avait pas vu un seul corps de jeune femme. Un indice de plus. Ils avaient sûrement dû les emporter pour les forcer. Mais les emporter où ? Plongé dans ses réflexions, Gabriele s’éloignait progressivement du village se rapprochant des bois. Il aurait bientôt fait le tour au trois quarts des habitations tandis que les premiers arbres penchaient leurs premières aiguilles au-dessus de sa tête. Ils avaient été assez fins et roublards pour effacer les traces de leur arrivée et de leur départ. Pas d’empreinte et même pas d’odeur, ils avaient sûrement usé de branches de sapin pour tromper le flair de chiens.

Ce fut l’instinct qui l’arrêta net. Pourquoi ? Il n’en avait pas la moindre idée. Tout semblait normal. Du moins autant, et même bien plus que le village lui-même. Un calme plat. On entendait distinctement le craquement des branches et leur bruissement dans un vent qu’abandonnait momentanément la neige. Ses yeux scrutaient les alentours avec une concentration qu’il s’était rarement donné la peine de mettre à profit. Un tour à trois cents soixante degrés. Or avant-même qu’il ne fut complet ses yeux s’arrêtèrent sur les loups dépités qui l’avaient suivis comme s’il était, en l’occurrence, leur représentant à deux pattes. Il réalisa qu’il les avait entendus trotter derrière lui quasiment tout du long, sans y faire réellement attention puisque ils constituaient une présence presque amicale. Le problème, c’était qu’ils s’étaient arrêtés quasiment à la même seconde que lui. Et ils ne le regardaient pas, leurs yeux d’ambre étaient fixés vers les arbres. Ce fut lorsqu’il suivit leurs regards qu’il comprit enfin la source de son profond malaise : le silence. En dehors du chant soyeux des pins et du vent dans leur cime, il n’y avait rien. Un rien profond et pesant, lourd. Les ombres provoquées par la lune pâle semblaient moins familières. Ce n’est que dans ces moments-là qu’on constate qu’on est toujours entouré de bruits auxquels on ne prête pas attention : des battements d’ailes, le grattement des griffes d’un écureuil, le croassement d’un corbeau. Merdaille ! Et où étaient-ils ceux-là ? Par un hiver pareil, comment pouvaient-ils passer à côté d’un tel festin ?
Ce n’était pas de la peur, mais pas loin. L’angoisse. Et d’autant plus insidieuse que cela faisait des décennies qu’elle ne s’était pas invitée dans ses veines, remplaçant la faim sans difficulté. Son instinct en alerte qui se mêlait au souvenir des paroles de son aîné. Une dernière inspection rapide, et le Vampire vida rapidement les lieux, se pressant vers le lieu où devaient toujours se trouver ses compagnons : il avait trouvé par où étaient repartis les agresseurs.
Les loups s’élancèrent en courant sitôt qu’il fit un mouvement. Certains le suivant, d’autres repartant en arrière. Les affaires de ces animaux ne sont pas toujours plus claires que les fameuses voies de dieu.

Le gamin eut un sursaut dès qu’il le vit arriver. Ou plutôt dès qu’il vit les carnivores galoper dans leur direction et réaliser soudain que l’homme qui l’avait le plus effrayé était déjà là comme surgi de la neige. Il se terra à reculons dans la maison d’où il venait, sans que Guy lui-même lui prête attention. C’est que l’air de Gabriele était sans ambiguïté.

-Ils sont partis par là-bas.
-Comment le sais-tu ?
-Je l’ai senti. Je l’ai… En vérité… Mieux vaudrait que vous constatiez par vous-même.

Sitôt dit, sitôt fait. Les deux Vampires se retrouvaient à l’endroit précis où Gabriele s’était arrêté. Le silence paraissait encore plus lourd : à présent il réalisait qu’il avait entendu la respiration des loups quelques minutes plus tôt. Les carnivores ne semblaient avoir aucune envie de revenir. Les Lycanthropes mettaient plus de temps arriver, Valentina allant chercher les chevaux, Giacommi s’occupant de l’enfant de la façon dont l’avait prié Guy qui lui-même arrivait à grandes foulées, mais trop lourd pour être rapide. Néanmoins il était arrivé depuis un certain temps déjà et avait goûté au silence simplement brisé par ses halètements discrets, lorsque Pietro se décida à prendre la parole :

-Eh bien ? Tu penses toujours que ce n’étaient que des mortels ?

La question était ironique. Mais moins qu’il ne l’avait voulu. Le triomphe de croire avoir raison étant atténué par les conséquences. S’ils s’agissaient bien d’Immortels, soit ils étaient hors-la-loi, soit il s’agissait de Démons. Dans un cas comme dans l’autre, il leur fallait, à eux cinq, au moins éclairer la situation pour faire un rapport, si ce n’était plus. Le Devoir… Oui seulement, non seulement Pietro n’était pas habitué à la violence, mais il n’avait jamais rencontré de Lycanthrope sauvage et encore moins de Démon. S’il se savait fort, il n’était pressé de juger de ses limites face à un ennemi inconnu et dont il ignorait le nombre et la malice.

-Je ne sais pas. Quoi qu’il en soit, je suis presque sûr que ce sont des and.. des anthropophages. Et ils ont pris les filles également. Vivantes sûrement. Nous y allons ?

Il avait buté sur le mot parce que c’était la première fois qu’il le prononçait. Mais parce qu’il avait craint que cela ne passât pour une expression de peur, il avait posé une question qu’il aurait autrement laissé à son aîné. Et que pouvait-il faire d’autre qu’acquiescer, Pietro ? A présent que les deux autres Lycans étaient arrivés, le gamin roulé dans une couverture épaisse et des peaux odorantes, posés sur l’arrière train de l’un de leurs chevaux…

***



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Rabastan Lestrange

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6ème année ϟ Préfet


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MessageSujet: Re: Past background Past background Icon_minitimeDim 8 Juil - 19:02

Valentina continuait d’observer la troupe passer au travers des branches du sapin dans lequel elle s’était perchée, transmettant ce qu’elle voyait au vieux Vampire qui se trouvait au sol. Et elle ne pouvait que se féliciter de l’odeur forte de la résine. Comme elle ne pouvait qu’espérer que personne n’aurait l’idée de lever la tête. Enfin… Aucun d’un des deux qui auraient pu y voir quelque chose. Mais ils passèrent tous. Toute la troupe, tous sentant le sang à plein nez. Certains portaient des armes qu’elle avait vues la veille, quand ce n’était pas une cape ou des bottes. Oh ça avait dû être une méchante rixe… Mais de toute évidence, les hommes du jeune Guillaume d’Alpleix avaient été défaits. Où et comment, c’était une autre histoire. Pourtant si l’on se fiait à la nature de deux des hommes qui disparaissaient déjà au détour des arbres, le rapport de force avait été inégal dès le début.
D’un bon souple elle quitta sa branche et atterrit sans bruit sur la neige piétinée alors que celle-ci commençait de bouger, donnant l’air de se gonfler pour finalement laisser apparaître une première main d’une pâleur mortelle.

Depuis les premières neiges, la Louve se faisait la même réflexion chaque soir, comme si elle ne pouvait s’habituer à cet étrange spectacle. Jamais les Vampires n’avaient l’air aussi inhumains. Elle s’était pourtant faite à la flamme affamée qui brûlait dans leur regard, même aveugle. Mais lorsqu’ils avaient passé la journée sous la poudreuse... L’un comme l’autre, Pietro comme Gabriele avaient désormais les cheveux complètement blancs, de même que leurs cils et sourcils. Leurs lèvres arboraient une blancheur bleutée, violacée, cadavérique, de la même teinte que leurs orbites et leur pommettes, tandis que leur peau était recouverte d’un voile de gel. Et dans ces conditions leurs yeux paraissaient plus que jamais avides. A aucun autre moment ils n’avaient à ce point l’air de ce qu’ils étaient réellement : des morts-vivants. Et dire qu’ils allaient rester ainsi jusqu’à ce qu’ayant bu du sang leurs corps commencent à se réchauffer un peu.
Les deux Vampires s’ébrouèrent et passèrent leurs mains dans leurs cheveux pour les libérer de la neige qui s’y trouvait encore, faisant par là même crisser le givre qui les couvrait tout entiers. S’ils ne posèrent guère de question, il restait cependant évident qu’ils attendaient des réponses :

- Nous étions en train de prendre nos quarts, comme chaque jour. Il ne s’était rien passé de toute la journée. Mais quand le soir est tombé, Guy les a entendus venir. Nous avons eu de la chance, nous étions sous le vent. Je suis restée ici pour veiller sur vous et vous avertir. Seulement il aurait été dangereux que nous restions tous au même endroit. Alors une fois nos traces effacées, Guy est parti en éclaireur, je suppose qu’il est en train de les suivre en ce moment. Et Giacommi a emmené les chevaux et Marmot là où personne ne pourrait les repérer. Et on a bien fait. Il y a…

La Louve se mordit la lèvre, face au trouble qui la prenait.

- Il y a deux Lycanthropes. Un vieux. Il.. il pourrait être un alpha. S’il y avait une meute.

Et au ton qu’elle eut on sentait qu’elle en était autant soulagée qu’elle était mal à l’aise avec le fait de rencontrer deux de ses frères en pleine nature. Et libres.

- Et un plus jeune. Il devrait avoir cent ou cent cinquante ans, je n’en suis pas acertainée.
- Quel âge donnerais tu au plus vieux ?

Comme si elle était soudainement plus touchée par le froid, Valentina frissonna légèrement. Néanmoins la Louve n’était pas une petite nature et elle maîtrisa l’anxiété naturelle que l’éventualité de combattre un « supérieur » faisait naître chez elle.

- Je ne suis certaine non plus. Plus que Guy c’est sûr. Peut-être… Six cents ?

Et en dépit de toutes leurs différences, une fois encore les deux Vampires eurent la même réaction : le même air mécontent, le genre d’air qu’on a les jours de poisse.

- Es-tu sûre qu’il ne t’a pas sentie ?
- Il n’y a aucun moyen d’en être sûr. Mais il y avait la résine, et le vent qui soufflait dans le bon sens…
- Bien, va chercher Giacommi. Dis lui de laisser les chevaux et l’enfant dans un endroit sûr.

La Louve bi-centenaire ne se fit guère prier. Elle avait appris à deviner lorsque les Vampires discutaient par les voies de l’esprit et avait deviné que c’était le cas. Mais d’après leurs expressions respectives, il y avait désaccord. Or s’il était une chose qu’elle avait apprise avec le temps, c’était de fuir les conflits de ceux qui vous dirigeaient, quels qu’ils soient. Ou bien c’est que l’on cherchait les dégâts collatéraux. Laissant derrière elle les deux autres immortels, elle fila à travers les bois, regrettant l’absence trop remarquable des loups. Ils n’avaient pas reparu depuis le village, pas même durant le jour. Et d’une certaine façon cela la confortait dans la légitimité où elle se trouverait quand viendrait l’heure de combattre ces autres Lycanthropes. Une éventualité contraire ne lui vint pas une seconde à l’esprit. C’était comme de vouloir se révolter contre les Vampires. Selon Valentina, si tous les Loups-Garous avaient été aussi fidèles et loyaux qu’ils l’étaient, elle, Guy et Giacommi, aucun d’entre eux n’auraient eu vraiment à craindre l’autre race immortelle. Mais naturellement il avait fallu que parmi leurs rangs d’enfants de la lune, se trouvent d’anciens bourgeois, ou pire, d’anciens nobles ou patriciens. Ceux-là, au nom d’un soi-disant droit à la liberté en lequel ils avaient l’air de croire, ruminaient des idées noires sans, heureusement, passer aux actes. S’ils avaient fait un pas de travers, elle aurait été la première à les punir, ces sots égoïstes, qui ne faisaient finalement rien d’autre que regretter leurs anciens privilèges et conforts. Et puis, n’avaient-ils pas vu la veille ? Le résultat de la liberté des Lycans : des massacres immondes à la pleine lune. Naturellement les choses auraient pu être plus… Mais ainsi allait le monde depuis des siècles, devenir immortel n’allait pas bousculer à ce point le poids de milliers d’années d’organisation sociale basée sur la hiérarchie. Surtout si cela empêchait que leurs races deviennent trop connues des mortels. Surtout si cela empêchait qu’il y est trop de morts.
Ses pensées revinrent à un stade nettement plus pragmatique dès qu’elle sentit les chevaux.


En parlant d’odeurs, celles que Guy laissait derrière lui étaient d’une toute autre sorte. Il en connaissait un qui n’apprécierait pas. Pietro était un diplomate hors-pairs, on ne pouvait pas le lui retirer, et parfaitement capable de mener son monde où il le voulait.. Pourvu que la violence ne devienne pas physique. Le colosse avait été surpris de voir un buveur de sang tiquer devant la scène du village ; c’était moche, ouais. Mais bon… Ce n’était tout de même pas comme si l’Aveugle avait été un enfant de chœur, non ? Et même les enfants de chœur, d’ailleurs si on lui demandait son avis… Ce qui n’était pas le cas. Ben en tous cas, vu ce qui les attendait là-bas, faudrait savoir faire preuve d’initiative et de prouver qu’on avait des tripes. Parce que c’était pas une petite bande de clampins facile à berner ou à tuer. Bon, pas que. Mais même ceux-là étaient nombreux, et surtout, bien accompagnés.
L’excitation du danger et du challenge parcourait les veines du géant avec une vitesse aussi grisante que celle avec laquelle il avalait les distances. Pour lui non plus, pas question d’éviter la confrontation. Guy sentit ses sourcils se froncer d’eux-mêmes lorsqu’il arriva au niveau des Vampires. Entre eux, la tension était palpable.


C’était fou comme l’enfant avait changé en quelques heures. Marmot. Il avait suffi qu’il mange, qu’il dorme et qu’il joue. Avec Guy, avec Valentina, et juste avant avec lui, Giacommi. Oh il sursautait toujours au moindre bruit inexplicable, mais le gamin s’était largement détendu même s’il ne parlait toujours pas. La véritable surprise ça avait été sa réaction, calme et un peu fiérotte, quand le Loup lui avait demandé de garder les chevaux. Histoire de, bien sûr, les bêtes étaient parfaitement capables de se garder seules, et il était peu probable qu’elles aient l’envie de quitter cette combe abritée du vent et où il avait répandu le reste de foin qu’avaient bien voulu leur donner les hommes d’Alpeix. Ils l’avaient donc laissé. Marmot s’était emmitouflé derechef dans les épaisses fourrures et caché à l’ombre des destriers qui avaient perdu avec le froid toute l’agressivité qui les caractérisait habituellement. Mais pour être honnête, il suivait Valentina à contre-cœur. Il n’avait pas aimé du tout apprendre l’existence d’un Lycanthrope de six siècles. Mais alors absolument pas. Encore moins accompagné d’un autre, même plus jeune et d’une belle troupe de salopards cannibales. A quoi servirait de prendre des risques ? Les lois c’est bien beau, mais quand on se trouve coincé en pleine montagne dans un hiver de disette, on les oublie et on se concentre sur les exigences du ventre. Merdaille, ils n’étaient que cinq, personne n’en saurait rien s’ils voulaient garder le silence. Intérieurement, le dernier espoir de Giacommi résidait en Pietro. Lui au moins savait placer ses priorités. Pour ça, il ne fallait pas compter sur Valentina ou Gabriele, et encore moins sur Guy. Ce n’était même pas pour lui qu’il s’en faisait. Il estimait simplement qu’il s’agirait d’une débauche d’énergie inutile et dangereuse.
Ils débouchèrent soudainement sur la piste qu’avaient emprunté les coupe-jarrets un peu plus tôt. Eh bien il semblait que la bataille de la décision ait déjà été menée. Et que malheureusement Pietro l’avait perdue si l’on en jugeait par son air plus mauvais encore que d’habitude. Avec le givre qui le recouvrait on aurait dit une statue représentant l’allégorie de la colère rentrée. Et chacun le suivit sans sourciller lorsqu’il leur fit signe de le suivre sur la piste toute fraîche.


Le silence ne fut brisé que par les explications concises et rapides de Guy, la description qu’il donna du campement, ressemblant à d’anciennes ruines romaines d’après lui, abrité contre la falaise surplombant les bois de par une pente douce mais complètement à découvert sur une longue distance. L’endroit était cerné par des trophées sinistres, placés là comme autant d’avertissements pour d’éventuels importuns. Il n’y avait pas de guetteurs dans la forêt même, le froid les aurait tué par une nuit aussi glaciale. En revanche il avait remarqué trois feux auprès desquels se trouvaient chaque fois un homme accompagné de deux mannequins destinés, sans doute, à tromper de loin les regards mortels et à grossir le nombre des présents. Le chef de la bande n’était pas un imbécile. D’ailleurs l’ambiance générale le laissait aussi entendre. Le géant avait été surpris du sérieux des hommes affectés à la surveillance, de l’état impeccable de leurs armes et défenses alors que des bâtiments ne s’échappaient que rire gras, bruit de festoiement et odeur de viandes grillées. Et s’il n’y avait probablement pas beaucoup d’alcool, il semblait y avoir en revanche pas mal de femmes. Tous les détails importants furent exprimés et ils avaient fait le reste du chemin en silence. Un silence d’autant plus lourd qu’ils avaient dépassés les gardiens macabres de l’endroit.


Au travers des yeux de Giacommi, Pietro observait le camp, cherchant une ultime faille qui pourrait leur faciliter la tâche. Mais cela semblait bien peine perdue. De toute façon Gabriele était déjà trop loin pour être rappelé sans parler des deux autres Lycanthropes partis sur les ailes. Cela avait semblé le meilleur plan. Attendre la fatigue qui viendrait forcément prendre les curieux habitants des ruines, laisser la majorité s’endormir pour pouvoir se débarrasser de la majorité avant qu’ils ne réalisent quoi que ce soit. Cela avait paru une idée encore meilleure lorsque la neige s’était mise à tomber derechef en gros flocons tourbillonnants. Car le nœud du problème n’était pas tant les guetteurs que le fait qu’en plus de les berner, il faudrait tromper l’odorat terrible de leurs deux adversaires immortels. Cela lui avait paru la preuve même qu’il était ridicule de risquer leur existence dans pareille entreprise quand Guy – encore celui-là !– avait fait remarqué qu’à quelques pas on ne sentait quasiment pas les deux Vampires lorsqu’ils étaient gelés comme cette nuit, encore moins s’ils laissaient la neige les couvrir : ils se mêleraient au paysage. Et naturellement Gabriele s’était enthousiasmé pour cette idée ! Pietro aurait été à sa place s’il l’avait pu, pas par charité chrétienne, mais simplement parce qu’il n’avait pas envie de prendre le risque de rapporter au Volturri le décès prématuré de l’un de ses Infants préférés. Cela nuirait gravement à ses projets de hauteur. Seulement, pour la première fois qu’il était immortel, l’Aveugle se sentait réellement handicapé par sa cécité. Car si on ne pourrait pas le sentir, ni l’entendre au milieu de ce monde de neige, lui ne pourrait pas non plus bénéficier de son odorat et de son ouïe. Et y aller à deux aurait été prendre le risque de perdre en discrétion. Cela dit,…
Ca y était ! Le premier guetteur était mort. Giacommi n’avait vu que vaguement la forme sombre s’affaler en arrière, c’était difficile à dire avec les bourrasques. Mais l’instinct ne laissait pas de doute. Au deuxième, ce serait à leur tour, Vampire et Loup, de rejoindre rapidement le campement. Bon sang… Il avait le cœur mort, mais ça n’empêchait pas l’adrénaline de lui courir les veines. L’expérience et l’âge étaient formels. C’était une certitude désormais : ça tournerait mal.



A quelques mètres de là et peu de temps plus tard, Gabriele refermait la blessure qu’il avait causé au dernier des guetteurs. Celui-ci fut mort avant même de toucher la neige. Il s’était contenté de briser la nuque des deux premiers : rapide, silencieux, inodore. Mais pour le troisième il avait assouvi sa soif. Le premier sang humain depuis des nuits… Seigneur (mais lequel ?) ! Comme c’était bon… Seulement passé l’ivresse hémophile, sa faim apaisée, sa raison lui revint pleinement. A présent qu’il n’avait plus la motivation primale d’avoir à se nourrir le Vampire prenait pleinement la mesure du danger. Pour la première fois depuis le coucher du soleil. Il sentait le nombre des hommes tous proches, une autre plus diffuse. Le jeune noctambule ne put se retenir de se mordiller la lèvre et de se fiche une claque mentale mais monumentale. Naturellement il fallait toujours qu’il se mette dans ce genre de situations dangereuses. Il en jouait souvent mais il arrivait aussi fréquemment, comme cette nuit qu’il finisse par regretter. C’était précisément le genre de comportement qui l’avait contraint à fuir Palerme et l’avait jeté sur les routes, qui lui avait fait risquer de perdre la vie plus d’une fois. Et d’ailleurs ne l’avait-il pas perdue de cette façon ? Ca avait été une chance quasi-miraculeuse que son histoire ne se soit pas médiocrement fini dans le sang et la merde de cette venelle vénitienne. Or il risquait de tout foutre en l’air, une fois de plus. Quelle chierie ! Tandis qu’il se dirigeait lentement vers les premiers dormeurs qu’il devait tuer dans leur sommeil, il se répéta les arguments qui lui avait permis de pousser Pietro à l’action : le plus frappant étant que le Volturri n’apprécierait pas qu’ils aient laissé vivre ces deux Lycanthropes hors de contrôle. Qui sait où ils auraient pu se trouver si on leur avait lancé des limiers aux trousses au Printemps ? Mais désormais cette litanie ne servait qu’à se convaincre lui-même que c’était la meilleure chose à faire, car pour dire le vrai, il avait peur. Un possible Alpha de six cents ans... Bon sang s’il tombait dessus avant de rejoindre Guy…

Il tuait le plus rapidement et le plus discrètement possible et commençait presque d’espérer qu’ils pourraient avoir quasiment tous les humains avant d’avoir à combattre les loups à cinq contre deux. Ses doigts étaient à quelques centimètres du cou mangé par les poils d’un homme qui lui aurait donné l’air fluet. Le bonhomme avait la peau mangée par la petite vérole et sa barbe semblait avoir été laissée pousser dans le seul but de le cacher. Même en dormant il avait un air malsain. Celui-là ne serait pas une grande perte pour l’humanité. Ses doigts gelés saisirent fermement le cou et c’est alors qu’il entendit les premiers cris : surprise, peur, rage, appel au combat. Le sale type ouvrit les yeux juste avant que sa nuque ne craque sinistrement. Mais les autres étaient éveillés. Et ils avaient des réflexes. Du diable si manger la chair de leur propre race ne leur avait pas fait gagné en énergie, parce que le Vampire n’eut pas le temps de dégainer pour cueillir le premier qui se lançait sur lui, le voisin de son camarade décédé, dague au poing. Les réflexes firent le reste. La seconde suivante, Gabriele sentit la chaleur enrober sa main, le liquide visqueux qui y coulait et la pulsation du cœur directement sur ses doigts. Les derniers battements. Avant même que sa lame n’ait servie, les quillons de son épée tolédane était souillée de sang. De l’argent avait été damasquiné sur la lame solide, et plus que jamais il en était ravi. Pourtant bientôt toute pensée sensée disparut. La sauvagerie prit le dessus, l’odeur du sang augmentant sa passion à le verser.


Un hurlement de rage brutale surpassa tous les autres. Guy sentit un frisson lui remonter de l’échine lorsqu’il réalisa qu’il fonçait droit sur son origine malgré qu’il eut au poing sa masse d’arme, la tête déjà dégoûtante des restes de ceux qu’elle avait broyés. Il fallait qu’il trouve Gabriele, d’abord parce qu’ils s’étaient mis d’accord pour faire deux binômes Vampire-Lycanthrope, un pour chacun de leurs deux adversaires immortels. Ensuite parce que pour des raisons de discrétion le jeune Nosferatu n’avait passé aucune cotte de mailles. Guy était peut-être une tête de mule insolente, mais la protection de ses maîtres lui était bien ancrée dans la tête et parmi tous les Vampires qu’il avait côtoyés, Pietro et Gabriele étaient loin d’être les pires, leur laissant la bride franchement lâche la majorité du temps. En parlant de Gabriele.. Il vit le Sicilien sortir d’une des trois habitations troglodytes la lame rouge et humide et les yeux fiévreux. Leurs regards se croisèrent, il vit un soulagement non dissimulé transformer les traits sauvages du jeune Vampire. Ca ne dura pas : Il était là. Totalement transformé, le monstrueux Lycanthrope qui leur faisait face maîtrisait la bête qui lui offrait l’immortalité. Ses crocs luisants claquèrent alors qu’il s’élançait sur l’ennemi de sa race, ses muscles puissants bandés sous la peau recouverte d’une fourrure épaisse et d’un gris sombre. Gabriele n’eut d’autre choix pour éviter l’impact que de se dématérialiser in extremis, l’épée se fichant dans la neige. Le monstre poussa un hurlement de rage tandis qu’il se remettait déjà en un gracieux roulé-boulé, dardant ses yeux dorés sur son adversaire rematérialisé. Rapide lui aussi puisque la garde déjà ferme dans ses deux mains. La lame siffla comme un fouet, le vieux loup n’en avait cure jusqu’à ce qu’il se sentit percuté par une autre masse. L’argent pénétrant son épaule lui arracha un second hurlement furibond. A cette douleur en succéda une autre, les crocs d’un Guy à son tour transformé en un loup énorme au poil ras et gris argenté, cherchant à lui ouvrir la gorge. Il s’en libéra d’un coup de pattes puissant. Pendant une seconde qui parut durer bien plus longtemps, ils se jaugèrent tous les trois. Le vieux Lycanthrope, la puissance quasi intacte malgré la blessure de son épaule, le regard haineux et appelant au meurtre, mais plein d’une malignité de mauvaise augure. L’autre Loup-Garou avec sa taille aussi colossale que lorsqu’il avait forme humaine, les yeux pas moins furieux, un grognement guttural agitant tout son corps, les poils dressés d’excitation. Le Vampire et sa lame venimeuse, aussi décoloré l’un que l’autre, mis à part le sang qui indiquait qu’il était plus dangereux que son aspect, presque fin en comparaison des deux bêtes, ne pouvait le laisser entendre. Ils s’élancèrent tous ensemble.




Valentina se rapprochait de Pietro et Giacommi. Elle entendait les ahanements enragés de ce dernier. Elle avait été désignée pour se charger des mortels qu’ils n’auraient pas réussi à tuer avant leur réveil, seule. Et ce n’était pas parce qu’il s’agissait de la tâche la plus aisée. Au contraire. C’était à présent qu’elle était les armes à la main qu’un spectateur aurait pu comprendre à quel point elle avait sa place dans l’escorte des deux Vampires. En fait, elle n’avait pas l’air de combattre, mais de pratiquer une danse mortelle. Dans chacune de ses mains vibrait une hache au profil oblique, rappelant les francisques qu’on lançait autrefois. Aucun homme ne pouvait entrer dans le cercle qu’elles décrivaient en sifflant, mais les lames en croissant tranchaient à chacun de leurs allers-retours. La vitesse et la précision que la Louve mettait dans chacun de ses gestes étaient dignes d’un serpent. Le masque revêtant son visage n’était pas plus avenant.
Pietro et Giacommi semblait être tombés sur le plus jeune des deux Loups-Garous, non transformé et du coin de l’œil, à leur façon de l’acculer, à l’expression de peur dans les yeux de l’homme, elle sut que ce n’était plus qu’une question de secondes avant qu’ils ne l’achèvent. L’Aveugle venait de lui trancher le tendon d'achille à l'argent en un coup particulièrement vicelard, bien digne de lui.

Les choses ne vont jamais comme prévu. Ce fut l’instinct qui prévint la Louve et elle l’écouta, se baissant brutalement sans connaître la raison de son propre geste. Une masse passa par-dessus sa tête et atterrit avec légèreté par-dessus le dernier cadavre qu’elle avait fait tomber. Les yeux bruns de la femme s’écarquillèrent : il y en avait un troisième ! Et un qui devait avoir approximativement l’âge de Guy puisqu’il maîtrisait manifestement sa transformation lui aussi. Une femelle toute en nerf et muscles secs qui profita de son élan pour bousculer Giacommi et le jeter à terre. Valentina sentit un vide lui peser dans les entrailles et sa concentration vacilla, son regard n’arrivant pas à croire ce qu’elle voyait tant c’était… Mais la nouvelle venue ne se contenta pas d’avoir jeté à terre leur meilleur éclaireur. Encore une fois le temps parut ralentir, et Valentina vit l’autre femelle ouvrir grand la gueule, achever un second bon pour planter ses griffes dans la poitrine de Giacommi, ouvrant les mailles, la tête s’abaissa et le sang gicla alors que les mâchoires se refermaient avec brutalité sur le cou qui leur était offert. Non ! Elle allait tuer cette salope… Avec un désespoir rageur elle dut pourtant se détourner de la scène, d’autres hommes étaient là.




Pietro avait l’impression d’être dans un autre monde. Il n’avait quasiment pas utilisé la vue de Giacommi jusque là, ses autres sens lui suffisant pour se battre, les sons et les odeurs l’informant des mouvements adverses avec précisions. Néanmoins, lorsque l’esprit du loup s’éteignit, il ressentit une étrange et violente nausée. Mais il était vieux, ses réflexes d’aveugle affûtés, sa lame poursuivit sa course malgré qu’il ne vit plus rien. Il la sentit pénétrer l’échine de la Louve qui venait de décapiter Giacommi en deux coups de ses mâchoires puissantes, il entendit le gémissement et le craquement, la masse s’affaisser. Lors, l’adrénaline, l’excitation due au sang le poussèrent à frapper plusieurs fois encore jusqu’à qu’il ne sentit plus le moindre pouls. Et alors, de se diriger avec un appétit de violence évident vers les adversaires de Valentina. Non il n’était plus lui-même. Le monde était très simple désormais : il y avait d’un côté lui et ses compagnons et de l’autre les Ennemis qu’il fallait Détruire. L’air saturé par les odeurs de sang et de chairs souffrantes ne l’avertit pas immédiatement de l’arrivée des loups. Ces loups qui les avaient suivi depuis si longtemps et qui se jetaient, affamés, sur tout ce qui avait le malheur de tomber à terre.




Gabriele avait du sang plein la bouche. Mais pour une fois il n’en tirait aucun plaisir. C’était le sien et en trop grande quantité : il s’était mordu la langue et ne devait qu’à la terrible douleur que cela avait provoqué de ne pas l’avoir purement et simplement sectionnée. Et c’était une autre douleur qui avait provoqué ce geste malencontreux, une douleur qui était toujours là, lancinante, en flux et reflux fébriles et nerveux, rendus pire parce que son corps n’arrivait pas à guérir cette blessure, ou reformait mal la chair, empirant son état. Il avait été envoyé bouler dans la neige et il se redressa sur un bras, inspectant comme un animal les dégâts qui venaient de lui être infligé tandis que son propre sang goûtait de sa bouche. Son flanc lui faisait mal mais il guérissait. La morsure n’avait, heureusement, pas eu le temps d’être profonde, grâce à Guy. Mais son bras en revanche. Le spectacle d’une fracture ouverte n’a pas de quoi ouvrir l’appétit. Son regard se brouilla, et plus que de la volonté, c’est l’instinct de survie qui le poussa à chercher du regard l’épée qui avait valdingué avec lui. Elle était plantée dans le sol gelé un peu plus loin.



Guy avait dépassé le stade où l’on peut éprouver de la peur. Il n’était qu’un être vivant désirant poursuivre encore son existence et haïssant tout ce qui s’y opposait. Le combat était trop brutal et sauvage pour qu’il en fut autrement, et pire encore depuis que Gabriele avait été mis à terre. Loin de l’art de la guerre des soldats. Mais rien n’y faisait, il allait mourir, malgré que chacun de ses gestes niaient l’évidence. Il avait perdu trop de sang et n’était plus transformé. Lui non plus n’avait pas de cotte, parce qu’il avait compté rester sous sa forme de loup tout du long. Perdu. C’était trop bête. L’autre monstre se dressait au-dessus de lui, la gueule ouverte, presque souriante d’expectative, retardant cruellement le coup final. Le terrible loup leva brutalement la tête vers le ciel et poussa un hurlement. Et là… Guy eut à peine le temps de réaliser qu’il s’agissait d’un cri de douleur que le loup s’affaissait, et il l’évita de peu. Il vit Gabriele ressemblant encore plus à un cadavre à présent, retirer sa lame de l’arrière du genou de leur adversaire. Il fallait faire vite en dépit de leur état : Guy mit toute ses forces pour forcer leur ennemi à rester à taire et le Vampire fit de même pour planter la lourde épée dans le torse du monstre, là où devait se trouver le cœur. Un frisson nerveux, les muscles eurent des soubresauts. Mais plus de cris et bientôt plus de mouvements. Guy ne réalisa la mort du Loup-garou que lorsque Gabriele se laissa tomber sur ses fesses, poussant un soupir profond, le nez planté au ciel.
Le colossal Lycanthrope éclata d’un rire rugissant malgré la douleur des blessures qui se refermaient.

Et c’est ce rire qui accueillit Pietro et Valentina. Le premier voyait par les yeux de la deuxième désormais. Mais son expression marqua une désapprobation évidente face à cet accès d’hilarité. Décidément Guy était fou. Quant à Gabriele… L’Aveugle vit son jeune congénère tendre le bras droit vers le Lycanthrope et fut pris de dégoût à la vue de l’aspect qu’il offrait, l’os saillant et les chairs anormalement reconstituées. Guy cessa de rire sans retrouver tout à fait son sérieux et saisit la main, jeta un coup d’œil au Vampire qui détourna la tête et se mit le poignet dans la bouche pour étouffer le gémissement douloureux qui ne manqua de lui sortir lorsque le colosse tira violemment pour remettre os, muscles et tendons droits. Et oui Gabriele était fou lui aussi parce que dès lors qu’il posa son bras sur ses genoux pour le laisser cicatriser, ses lèvres s’étirèrent en un sourire sinueux mais tout à fait heureux.
L’instinct sûrement, poussa Guy à rejoindre sa congénère quand Pietro lui s’agenouilla auprès de son cadet lâchant l’esprit de la Louve pour tenter celui du Vampire. Et il eut la surprise de le voir ouvert tout à plein. Le Sicilien lui laissa sciemment accès à ses pensées qui ne tournaient présentement plus ou moins qu’autour du plaisir de vivre, comme s’il n ‘était pas conscient qu’il faisait partie d’une race considérée comme non vivante. Et il y avait le plaisir d’avoir réussi, à présent que le danger était écarté, il se sentait grisé par les évènements. Pietro ressentit quant à lui une chose étrange qu’il avait rarement eu l’occasion d’expérimenter : de la reconnaissance. Reconnaissance de lui faire à ce point confiance qu’il n’y avait pas de barrière mentale, reconnaissance finalement d’être aussi heureux parce que ce plaisir était communicatif. L’Aveugle devinait que le sourire de Gabriele s’était fait tout à fait franc et il ne put se retenir de sourire à son tour. De façon plus crispée cependant, il fallait bien le mettre aux faits des détails, car ils avaient eu l’opportunité, Valentina et lui, avant de rejoindre leurs compagnons, d’en apprendre plus sur ce qu’avaient été leurs adversaires. Les Lycanthropes s’étaient éloignés, laissant leurs Maîtres à leur dialogue télépathique, probablement partis pour s’occuper de leur mort. Victoire amère. Tandis qu’ils communiquaient, Pietro sentait les loups trottiner alentours, achever les blessés sans pitié. Il y avait des corbeaux aussi, ceux qui avaient manqué au village.
L’Aveugle sut qu’il avait changé, d’abord parce que la puanteur alentours ne le gênait plus comme celle du précédent massacre. L’état des cadavres ne le touchaient plus autant non plus à présent qu’il avait goûté la violence et la peur de perdre son existence s’il ne prenait pas celle d’un autre. Et l’échange qu’il avait avec son cadet gagné en compréhension. Il se sentait bien plus assuré.

Gabriele se relevait enfin lorsque les Loups revinrent. Or celui qu’ils portaient n’était pas mort. C’était bien un Lycanthrope, mais ce n’était pas non plus Giacommi. C’était le jeune que Valentina avait vu à la nuit tombée, celui dont Pietro avait tranché les tendons de la cheville. Sa peur lui faisait hurler des appels à la pitié qui agaçaient les oreilles des Vampires plus qu’autre chose.

- J’ai pensé que vous aimeriez en apprendre plus de lui avant que nous lui réglions son compte, fit laconiquement la Louve.

Elle comptait manifestement que leurs maîtres les laissent venger la mort de leur compagnon à leur façon. Pietro acquiesça simplement et se plaça en face de leur prisonnier. En se forçant un chemin au travers de son esprit, il vit qu’il effrayait particulièrement celui-ci. C’était terriblement intéressant. Et inquiétant aussi parce qu’il y avait dans les souvenirs du jeune Loup un joli visage, un autre immortel, l’Ange, se faisait-il appeler. L’Ange avait été à l’origine de tout, c’était lui qui avait recruté les deux autres Loups puis les hommes, créant une sorte de secte apocalyptique dans un climat qui s’y prêtait bien, usant de son charme, de ses pouvoirs et de son visage véritablement angélique pour se faire passer pour un envoyé divin. Quant au Loup lui-même, il avait toujours vécu dans la région, avait été mordu une nuit de pleine lune par la Lycanthrope que Pietro avait tuée. Elle l’avait abandonné mais lorsqu’elle était revenue il l’avait suivie jusque sous les ordres de cet Ange et de l’autre Loup Alpha. Et il s’appelait…

- Sanguienne !

Les autres levèrent des sourcils curieux devant les changements d’expressions de l’Aveugle et son exclamation.

- C’est lui ! c’est le Crôleux...




La lune vieillissante s'était levée sur des visages, au mieux, maussades. Pourtant ils étaient en passe de retrouver l'autre versant des Alpes, grâce au Crôleux qui leur avait fort opportunément dévoilé l'existence d'une rivière qui, l'hiver venant, gelée et recouverte de neige, se transformait en un surprenant sentier menant à un col autrement inaccessible. Le loup en question affichait probablement l'air le plus sombre du groupe. Tantôt son regard était vide comme si l'accès à la moindre des émotions lui était à jamais impossible. Tantôt au contraire, celui-ci se faisait fiévreux et paniqué sautant d'un membre de la petite troupe à un autre, évitant pourtant soigneusement Pietro qui se contentait d'un sec claquement de langue pour le replonger dans un état d'indifférence léthargique dès qu'il semblait s'agiter un peu trop.
Ce que lui avait fait l'Aveugle, les autres l'ignoraient, le vieux Vampire s'étant isolé pour creuser jusqu'à ses tréfonds la cervelle du Crôleux, le transformant en un temps extraordinairement court en un pantin obéissant et sans volonté. Et personne ne lui demanderait comment il avait procédé, au vu de l'air glacial et mauvais qu'il arborait depuis.
Non on n'aurait pas pu compter sur Valentina pour cela. Déjà peu encline à interroger ses maîtres en temps normal, celle-ci semblait s'être recluse dans un silence dont l'agressivité était toute portée vers leur guide. Agressivité refoulée qui n'attendait que le moment où ils n'auraient plus besoin de ce "loup miteux" et où elle pourrait alors soulager brièvement la douleur de la perte de son compagnon. Ses yeux clairs ne quittaient pas sa proie, aussi pâles et froids que la lame qu'elle rêvait de lui plonger dans le corps et ses pensées ne tournaient quasiment plus que sur les supplices qu'elle élaborait pour lui. Jamais elle n'avait autant ressemblé à une louve. Jamais elle n'avait autant haï ceux de sa race qui prétendaient pouvoir vivre sans règles ni limites.
Sur sa monstrueuse jument, rétive et inquiète de déplacer sa masse sur l'eau gelée, Guy ne montrait pas un air plus avenant. Ses regards à lui se posaient plutôt sur le jeune Vampire qui le précédait. L'Aveugle, non seulement cheminait derrière lui, mais était trop clairement d'une humeur à vous décoller la tête pour la moindre insolence, fût-elle un simple regard lancé de la mauvaise façon. C'est que lorsque Gabriele était revenu d'être allé chercher les chevaux, trois d'entre eux sentaient le sang, tous la sueur et il manquait Marmot. Des explications ? Niente ! Les deux noctambules s'étaient visiblement plongés dans une discussion télépathique agitée d'où l'un était ressorti l'air revêche et maussade et l'autre.... Eh bien l'autre d'une humeur à vous décoller la tête pour la moindre insolence. Et lorsque Guy s'était rabattu sur le jeune Vampire pour obtenir quelques réponses, celui-ci s'était contenté de lui imposer le silence, sur un ton autoritaire dont il n'avait quasiment jamais usé durant leurs voyages, comme profitant d'une hiérarchie soudainement opportune pour n'avoir à répondre de rien. Marmot, ça n'aurait dû être qu'un gosse parmi d'autres et le Lycanthrope était conscient qu'il réagissait trop. Un reste de l'instinct paternel ? Peut-être que l'enfant avait ressemblé à l'un des siens. Difficile à dire, dans sa mémoire trop longue, leurs visages étaient flous. Et puis si pour les Vampires la présence du gamin aurait pu quasiment passer inaperçu, pour les Loups qui avaient passé la journée à guetter, la présence innocente et souriante du petit avait signifié bien des choses.
Seulement la seule chose de certaine, c'était que l'enfant était mort, Gabriele avait au moins lâché ça. Mais qui ou quoi avait été à l'origine de cette mort et des blessures de leurs montures ? Cela lui était resté un mystère. La rancœur aux tripes pour les deux Vampires, et la détestation pour l'autre Crôleux qui paierait pour tout, responsable ou pas, Guy ne faisait pas de cadeaux à son cheval malgré la peur de l'animal. Celui-ci poussait de temps à autre de rauques hennissements de protestation, le poil tremblant et trempé de sueur froide, les pattes puissantes soudainement fragiles, mais pour une fois ne lui répondaient que des coups de talons agacés.
Enfin Gabriele, suivant de près le Crôleux. De suffisamment près pour l'entendre marmonner dans ses rares moments d'agitations des "démons", "damnés", "créatures du Diable". La nuit précédente et même jusqu'à ce qu'il ne retrouve leurs montures, il aurait, en toute bonne foi, jurer que le loup parlait de celui qui l'avait conduit à commettre des actes aussi ignobles. Dorénavant il en doutait sérieusement, dorénavant il ne pouvait passer outre les regards qui leur étaient adressés lorsque le Crôleux psalmodiait ses malédictions. D'après Pietro, le Lycan avait vraiment cru à l'Ange. Il semblait toujours y croire dur comme fer. Eh quoi ?! Avait-il rétorqué. Eh quoi... Quoi : ce fut Pietro qui le lui renvoya sous forme de ses propres souvenirs de la scène qu'il avait découverte en cherchant leurs montures. Toutes les bêtes s'étaient libérées de leurs liens, éparpillées dans la nature tant qu'il avait mis un temps, inquiétant pour ses compagnons, à tous les retrouver. L'enfant s'était comme volatilisé. Et il y avait du sang dans la neige. Seulement la façon dont on avait réorganisé ses souvenirs prouvait qu'il était encore trop jeune pour analyser correctement des signes pourtant clair. Le seul sang qui avait été répandu, gâché pour être plus exact, ça avait été celui des chevaux. Blessés par sadisme autant que dans leur propre acharnement à fuir. Et lorsqu'il avait retrouvé l'enfant, la neige l'avait déjà presque intégralement recouvert. Gabriele ne s'était pas attardé, déjà le temps manquait et l'aube s'annonçait. Le corps était si froid qu'il était impossible de dire s'il avait été ou non vidé de son sang. Et là se trouvait précisément ce qui tourmentait Pietro et que Gabriele n'aurait pas voulu savoir.
Dans l'esprit du Crôleux, l'Ange, celui qu'ils auraient tous volontiers considérer comme un Démon volontairement exilé dans les montagnes, arborait un visage lisse et pâle, des yeux hypnotisant ses interlocuteurs par trop pour qu'il ne s'agisse que de charisme. Et sa chevelure bouclée n'arborait jamais ses reflets dorés qu'à la lumière des flambeaux, jamais en plein jour.
Bien sûr ce n'était pas une preuve en soi. Mais à ce sujet, jamais la lumière ne pourrait être faite. L'Ange s'était évaporé dans les bois neigeux. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin.
Au moins une chose était certaine, ce n'étaient pas le genre de doutes qu'ils pouvaient partager avec leurs compagnons.


J'ai la désagréable impression de ne point avoir achevé. D'avoir laissé les choses en l'état.

Cela faisait plusieurs semaines qu'ils avaient quitté les montagnes et Pietro et Gabriele s'apprêtait à être reçus pour leur rapport auprès de leur Créateur. La réponse de son aîné sonna pour le jeune Vampire comme une maxime à retenir pour un Immortel :

Il n'en est pas de la vie comme dans les contes et fabulettes, les évangiles. Des débuts c'est certain, mais de fin... Pas toujours qui soient à notre convenance. Tu devras apprendre à apprécier les queues de poisson si tu comptes vivre longtemps mon jeune ami.






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Rabastan Lestrange

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6ème année ϟ Préfet


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MessageSujet: Re: Past background Past background Icon_minitimeDim 8 Juil - 19:03


Ecrit en la ville de Venise, en l’an de grâce mil cent quatre-vingts cinq, le treizième jour de Janvier,



Au sire Manuel Hosionyme, chevalier du Temple, en la Sainte ville de Jérusalem ,


Quelle nouvelle que celle que vous nous avez fait parvenir dans votre dernière lettre ! Elle suivit, mais de bien peu, l’annonce publique du recul de Salâh al-Dîn ibn Ayyub. Je ne saurais vous décrire assez le grand solas que l’événement provoqua en notre bonne ville, bien qu’il fût alors passé depuis maints mois. Vous auriez, je gage, trouvé encore à redire aux excès de zèle des prêches de nos paroisses, ou à la joie naïve de leurs ouailles, comme vous déploriez encore dans vos écrits à mon endroit, les errements théologiques des chevaliers et piétons que vous côtoyez chaque jour. Mais il n’est pas offert à tous d’avoir votre entendement quant aux Ecrits tant testamentaires qu’apocryphes. Ainsi je vous engage à souffrir le trop grand enthousiasme de vos compagnons, et de leur montrer la patience que vous avez pu avoir pour d’autres, plus instruits certes, mais guère plus pieux. Assurément vous savez de qui je parle, mon ami.



Le chevalier grec, malgré son apparence revêche et austère, ne put s'empêcher un sourire. Pieux ? Assurément, le Gabriele qu'il avait connu ne l'était guère. Ça n'avait pourtant pas été faute de tenter de le convaincre de reprendre, si ce n'était le droit chemin, du moins un sentier moins tortueux. Ne s'arrêtant pas là pour autant, les yeux noisettes du Templier reprirent leur lecture, sourcillant de nouveau. S'il s'agissait de son expression la plus coutumière, elle n'était là ce soir que de la difficulté qu'il avait à lire à la lueur changeante de la bougie que venait de changer son écuyer.


Vous avez une fois de plus montré votre finesse d’esprit en choisissant l’objet que vous m’avez fait envoyer. Efkaristo poli. Cette merveille ravit tous les yeux qui s’y posent. Je dois cependant tempérer votre fierté et votre orgueil – vous aurais-je d’ailleurs pris à faire preuve de l’un de ces péchés que vous voulez éviter avec tant d’obstination ? – il ne s’agit en rien d’un saint suaire, pas plus de sainte Catherine que d'une autre sainte femme. Je gagerai mon âme qu’il s'agit là d'un tiraz fatimide, les anciens maîtres de l’Egypte et ce peuple qui vous priva, vous autres Grecs, de l’Ifriqiya et de la Sicile avant qu’elle ne devienne royaume Normand. A Palerme, d'où je viens, il m'est fréquemment arrivé d'en voir de tels, bien que pas aussi bellement travaillé que celui-là que vous avez eu la bonté de m'offrir. Il en existe chez quelques riches particuliers, m’a-t-on dit, en Espagne, bien que je n’ai pas eu l’heur et le plaisir de les voir. Et puis mon ami, que vous arrive-t-il que vous ne reconnaissiez pas l'écriture de vos adversaires ?
N'en soyez pas troublé, cependant, ceci ne lui ôte rien de sa valeur, car pour ce qui est de l’art, la religion ne fait pas office de qualité assurée.



Manuel ne put s'empêcher de tiquer, barbe et moustache frémissantes, regard assombri. Il ne remettait pas en cause l'analyse du jeune Italien, ayant eu l'occasion de lui reconnaître une éducation surprenante pour un homme qui prétendait n'avoir pas plus de vingt cinq printemps. Néanmoins il se trouvait déçu de se trouver ainsi pris : alors qu'il souhaitait inspirer un peu plus de foi à son jeune ami par l'offre de ce qu'il pensait une précieuse relique, on lui apprenait tout soudain qu'elle était l'œuvre des infidèles qu'il combattait chaque jour. Ah ! C'était à croire que Dieu les voulait punir des mœurs dissolues de leurs princes ces dernières années.


Par ailleurs, si l’annonce que vous avez rejoint les rangs du Temple me réjouit le cœur pour ce qu’il n’est meilleure manière d’appliquer vos principes, je crains que vous n’essuyiez quelques déceptions. Ils sont nombreux les chevaliers à faire escale ici-même à Venise, prêts à partir sur le premier bâtiment en partance pour la Terre Sainte. Ils viennent de toute la Chrétienté, Bretagne et grande et petite, Irlande, Hongrie ou Russie, Espagne et France, Bourgogne et Flandres et naturellement du Saint Empire que vous exécrez tant, Romain de l’Est que vous êtes. Et parmi eux, nombre espèrent se faire Templiers, à votre semblance. Malheureusement, on ne compte plus le nombre de nobles endettés ou sans terre qui les peuplent, ou même de truands trouvant là l'occasion de se faire nobles. Notre petit peuple se réjouit de les voir partir à la conquête des rêves de trésor qui entoure le Temple, plutôt que de continuer à les seigneurier, les tourmenter dans leurs fièvres de gloire, de richesse et de grandes batailles.


Regnault, le jeune écuyer, abandonna temporairement son observation des étrangers nouvellement arrivés, le regard attiré par le reniflement mécontent et le remuement de mésaise de son maître.



Hors ça, je gage que vous avez peine à me reconnaître dans ces propos pessimistes et prudents.


Hé là ! Voilà qu'il riait presque maintenant, le sieur Hosionyme. Et la curiosité de piquer le jeune noble sur ce qui déridait et pouvait bien faire changer aussi vite d'humeur le chevalier ombrageux qu'il servait.


C’est que, mon ami, vous m’avez plongé dans les affres de la jalousie à m'aller ainsi décrire les beautés de l’Orient et de Jérusalem. Que ne donnerais-je pas pour aller chevauchant sur les routes de Cana, Nazareth ou même Damas ? A ce sujet, je suis heureux que le destrier que je vous ai choisi vous ait donné tant de raisons d’être satisfait de lui. Dois-je donc me répéter une énième fois, vous rappelant que votre gratitude n’a pour l’heure pas lieu d’être puisque je n’aurais eu l’usage d’une aussi aguerrie monture. Cependant, à vous lire narrer les splendeurs du Dôme, vous dont la dévotion chrétienne est admirable, comment ne pourrais-je pas désirer admirer de mes yeux propres ce qui sût vous toucher si bien ? Nous en parolions déjà en votre ville natale de Constantinople : peut-il y avoir cités plus superbes que celles qui savent allier toutes cultures et toutes religions ? Et moi qui ai connu pareille Palerme, me voilà regrettant les mosaïques accompagnant les colonnes antiques et les plafonds peints d’Orient, les femmes dont on ne saurait plus dire si elles sont chrétiennes, maures ou juives, ou encore, et je sais déjà votre désapprobation pour le peu de piété dont je fais montre, le chant des Sarrasins dans leurs prières.


D'agacement affectueux, le Templier en frappa la table de sa main puissante, faisant sursauter ses hôtes somnolant de la fatigue de leur voyage enfin achevé.


Mais brisons là cette envie malvenue. J’ai également de bonnes nouvelles à vous transmettre. Tout d’abord, et parce que je crains qu’elle m’en voudrait trop, et me ferait payer bien chèrement, que je n’en parle comme en passant, sachez donc l’affection intacte que vous porte ma sœur Elana. Elle se réjouit de votre bonne chance dans votre voyage et de la réussite de vos projets au moins autant que moi. C’est elle qui trouvât et fît copier les planches manuscrites qui accompagnent ma lettre. Toutefois, vous verrez qu’ils ne proviennent pas de l’œuvre de Vitruve, comme vous nous l’aviez mandé, car, sans doute du peu de goût de nos moines pour la copie des dessins antiques, il n’en reste que les écrits. Or vous désiriez les illustrations nécessaires à toute la compréhension de la conception des constructions que vous espérez réussir en Orient, pour le bien de son peuple. Ces écrits-là sont anonymes mais votre amie m’a assuré de leurs sources, et du nombre d’heures qu’elle y a consacrées, j’incline à la croire tout à plein. Une preuve encore, s’il était vraiment nécessaire, des grandes affection et estime qu’elle vous porte. Nous espérons tous deux que ceci vous servira au mieux, non pas que nous doutions que vous n’en fassiez bon usage, mais il semblerait que les temps noircissent à l’Est.


Et voilà le rude visage tout attendrézi. Pour avoir si rarement vu telle expression sur ces traits-là, Regnault se demanda s'il s'agissait bien vraiment du simple effet des mots que son maître lisait, et si l'hypocras dont il s'était pourtant chichement abreuvé plus tôt, n'y était pas aussi pour quelque chose.
A tort. L'écuyer ignorait tout de ces quelques semaines que Manuel avait passés à Venise cinq années plus tôt. Cela avait été l'occasion pour le Grec d'aller visiter celui qui était devenu, de manière bien imprévisible au vu de leurs caractères respectifs, son ami. Or sa surprise de le trouver inchangé malgré le temps s'était rapidement envolée devant la scène qui l'avait accueilli lors de ces retrouvailles. Des retrouvailles qui n'avaient rien à voir avec ce qu'il avait pu imaginer. Gabriele était un amateur de femmes, cela Manuel avait pu l'observer à maintes reprises toujours désapprobatrices. Cependant la façon qu'il avait de se comporter avec celle-là était bien différente de ce qu'il avait montré avec d'autres donzelles : moqueur, espiègle, narquois, une façon implicite de toujours rappeler à la demoiselle sa jeunesse, chose qu'elle n'avait pas l'air d'apprécier, loin s'en fallait, mais qui tirait à Gabriele des sourires de malice ravie. Surprenant, avait songé Manuel, étant donné que la jeune femme en question était une beauté, la peau pâle, les lèvres pleines et rouges, un regard azuré d'une expressivité étonnante qui se trouvait alors aussi agité et énervé que la chevelure sombre et rétive qui ornait sa tête. Et les formes tendant les étoffes, à la hauteur de la qualité de mise vénitienne, étaient à la hauteur de ce joli visage.
Pourtant rien n'y faisait, son jeune ami la traitait quasiment comme une gamine. L'explication était venue d'elle-même : Gabriele avait présenté la damoiselle comme sa "toute jeune" sœur puinée et Manuel avait naturellement accepté ce fait. Malgré le peu de ressemblance physique qu'il y avait entre les deux et le drôle de regard qu'elle lui avait lancé, lors de cette présentation. Après tout, la suite lui avait montré que par quelques côtés ces deux-là se ressemblaient plus qu'il n'y paraissait de prime abord.
Par ailleurs, s'il s'était méfié de celle qui se trouvait s'appeler Elana, comme il se méfiait de toute femelle, et plus encore, de celles qui étaient à la fois pourvues d'attraits et de caractère, le noble constantinopolitain s'était finalement trouvé charmé par la surprenante culture qu'elle possédait, au point d'apprécier sans retenue les conversations, puis les lettres qu'ils avaient échangées. C'était avec un plaisir certain qu'il avait alors partagé son amour des lettres, des textes anciens et des savoirs antiques.


Oui nous avons eu vent des difficultés que les Sarrasins vous causent, maugré l’espoir qui vous agitait dans votre dernière lettre. Nous, et beaucoup d’autres par delà la Chrétienté, prions pour que l’orage passe sans vous emporter. Pour autant, il nous a été donné d’échanger avec des prudhommes de retour de Terre Sainte et leurs nouvelles restent inquiétantes. Toutes les descriptions que j’ai pu entendre au sujet de Salâh al-Dîn ne tendent qu’à démontrer toujours plus à quel point ce roi est un grand stratège, forçant l’admiration de tout homme que n’aurait pas aveuglé sa ferveur. Je crains qu’à moins que vous n’ayez une perle égale dans vos rangs, et suffisamment haut placée qu’elle puisse agir, tout cela ne finisse fort mal. Et d’autant que les Royaumes de ce côté de la Méditerranée ne sont plus tant portés aux affaires de la Terre Sainte, en ayant d’autres en cours, plus proches ou plus dangereuses pour leur couronne. Il n'est pas que l'Orient qui subit maints meshaings. Vous savez le grand mépris que je porte aux couards. Pour autant, je ne peux que vous adjoindre de quitter la Ville Sainte si les armées sarrasines s’en approchaient trop. Votre mort ne servirait de rien et votre serment vous porte à protéger les hommes et non les terres et les murs. S’il advenait cependant que vous ayez maille à partir avec les armées des Mahoms, faites donc couler le sang à flot et que point ne faiblisse votre bras.
Nous reste l’espoir que vous n’ayez pas à en venir à cette extrémité.
Néanmoins, j’ose espérer que vous ne vous offenserez pas des écrits que j’ai ajoutés à ceux que vous avez demandés et qui me semblent plus adaptés aux temps troubles que vous traversez. Je vous laisse juge de leur utilité.



Pour le Templier ce n'était, hélas, pas une nouvelle que la situation était précaire face aux armées de Saladin. Mais l'inquiétude de Gabriele ne pouvait qu'ajouter à son mésaise. D'abord parce qu'il s'agissait d'un Vénitien. Or ces gens-là, c'était bien connu, avaient l'art et la manière de sentir le vent tourner, tant en mer qu'en politique. Et de savoir en profiter, fût-ce aux dépens de leurs alliés d'hier, cela aussi, était de notoriété publique. Mais pour ne rien arranger, le conseil de circonspection n'émanait pas d'un marchand ayant réussi ni même d'un prince. Il venait d'une personne dont il avait de visu pu éprouver l'ardeur au combat. En vérité, ardeur était un faible mot. Toute la troupe qu'il avait découverte la nuit de sa rencontre d'avec l'Italien semblait littéralement goûter l'odeur du nickel, éprouver une réelle plaisance à batailler. Dans leurs yeux avaient brillé une lueur telle que jamais l'expression "ivre de sang" ne lui avait parue plus appropriée.

Cette nuit-là Manuel se trouvait dans une petite ville portuaire non loin de Constantinople. Il y avait hourdé le noble Loukas Athokis. Si celui-ci ne montrait guère son pâle visage à la cour du Basileus, il n'y avait cependant pas de doute quant à son importance. De plus, le militaire qu'Hosionyme était alors ne pouvait qu'apprécier la tenue et la rigueur aristocratique qui paraissait lui être naturelle. La mission qui leur avait été assignée, consistait à recevoir une délégation vénitienne hors des murs de la cité puis de les y faire pénétrer. Le tout de nuit. De là, le Grec en avait conclu qu'il s'agissait sûrement de quelque manœuvre politique délicate, sans doute en lien avec la puissance rivale des Latins en Orient et que la discrétion était de mise. Tout avait semblé devoir se réaliser sans le moindre accroc lorsqu'ils étaient arrivés au point de rencontre la nuit précédente. Seulement la journée s'était avérée elle d'un calme très relatif.
Les éclaireurs avaient annoncés l'arrivée de routiers en masse. Sans doute plusieurs groupes de pirates Mahoms ayant fait naufrage et qui se seraient regroupés pour poursuivre à terre leurs pillages. Piqués par la résistance offerte par la région, ils avaient entrepris le siège de la ville, comptant sur les pauvres palissades et la trop peu nombreuse troupe d'Hosionyme qui la défendaient pour la prendre sans trop de difficulté. Pour ne rien arranger, il avait dû, seul, mener les défenses, car Loukas Athokis ne s'était montré qu'à la tombée du jour. Entre temps Manuel avait dû se contenter de prendre ses ordres du bras droit, un homme dont la rudesse primitive, l'incommodait grandement. Sans compter le refus catégorique que le rustre lui opposait chaque fois qu'Hosionyme exigeait, chaque fois un peu plus exaspéré, de voir son maître. Enfin il avait fini par craindre, à voir ses ennemis ne pas se fatiguer à attaquer de front et à s'esliescer, qu'ils attendaient un navire pour prendre les Grecs autant par mer que par terre.

Lorsqu'il s'était finalement montré, Loukas Athokis lui avait intimé de ne rien tenter et d'attendre là où il aurait fallu pourtant faire preuve de célérité, prendre leurs assaillants par surprise, profiter de la nuit pour leur infliger le plus de pertes possibles. Et puis la première surprise était venue...
Un sombre petit-duc avait fondu sur le lieutenant d'Athokis, qui loin de s'effrayer, avait laissé le rapace se servir de son épaule comme perchoir. Après quoi l'oiseau avait tendu sa patte plus docilement qu'un pigeon voyageur, révélant un étroit parchemin. Personne n'estima bien nécessaire que Manuel sache de quoi il s'agissait et le volatile repartait déjà dans la nuit noire, porteur d'une réponse inconnue, avant même qu'il ait pu émettre la moindre question.
Quoi qu'il fut écrit sur ces parchemins, les effets se firent rapidement sentir. Si la vue ne portait plus guère loin à cette heure, il devint rapidement clair que des chevaux chargeaient de toutes parts leurs assaillants. Le sourd et puissant rouli de leurs sabots comparable au ressac, révélait qu'il s'agissait de lourdes montures, de celles que les Francs élevaient, de celles qui avaient fait la réputation de leur cavalerie. L'espoir renaissait tandis que des cris d'alarmes retentissaient chez les ennemis.
Ceux-ci montrèrent une excellente discipline, toute à leur honneur et lorsque l'on put à peu près deviner le nombre des nouveaux arrivants, les Grecs se sentir de nouveau abattus. Manuel avait réclamé à Loukas de mander son étrange oiseau à leurs alliés, d'interrompre cette charge folle s'il était encore possible, que les Italiens étaient bien trop nombreux, que le résultat ne serait que leur mort à tous et par conséquent, l'échec cuisant de leur mission. Ne lui avait répondu qu'un sourire presque méprisant et un "observe" qui n'admettait aucune contestation. Pour observer, il avait observé, et plutôt deux fois qu'une. Ces combattants semblaient tout bonnement invincibles, brisant le cercle des Mahoms qui avaient la mauvaise idée de vouloir les submerger, se mouvant comme si leurs mailles et leurs plates ne pesaient rien. Coupant, tranchant, écrasant, éclopant, étêtant, démembrant, éventrant avec souplesse et aisance comme si leurs ennemis avaient été nus comme des vers. Plus que des hurlements de rage ou de grands ahans d'effort, c'était des rires qu'on entendait de leur part, des cris de plaisance sauvage. Dès que la panique s'empara des routiers et que les premiers commencèrent de vouloir fuir, Manuel lança une charge de ses propres hommes, afin de parfaire la victoire autant que pour voir à l'œuvre ces étranges alliés. Curiosité qu'il trouva lui-même malsaine sitôt qu'il se trouva sur place.
Le chevalier grec n'eut que quelques coups d'épée à donner, tant la frayeur inspirée par les Italiens avait eu d'effet sur leurs ennemis communs. Mais quant à lui, il était resté tétanisé devant une scène étrange. Pied à terre, l'un des hommes d'arme vénitien avait assené le tranchant de sa lame sur le cou d'un Mahom, le retenant par le col. Le sang avait jailli à grands jets puissants... droit vers les orifices du heaume qui protégeait la tête de l'assaillant. L'homme était resté immobile au-dessus de sa victime tressautante et gargouillante, insensible à ce qui les entourait semblait-il, pas plus qu'il ne se souciait du sang qui maculait sa cotte d'arme et le reste de son casque.

PANG ! Le plat d'une lame avait frappé le haut de la calotte de cet étrange personnage, le "réveillant" de sa curieuse et macabre transe. Manuel n'avait pas pu en voir beaucoup plus, la monture pommelée du nouveau venu le cachant à sa vue. Ses yeux étaient alors montés vers le cavalier. Le visage lui était clairement visible à la lueur des nombreuses torches et du logement brûlant des ennemis en fuite. La tête n'était protégée que d'un lourd camail d'où s'échappait quelques mèches de cheveux. Rien pour défendre un nez droit, ni des joues maculées de sang et de la terre qui avait volé durant la cavalcade, de cendre. Dessous ce qui la salissait pourtant, la peau n'était pas plus mate que celle d'Athokis. Rien ne cachait une bouche gourmande et encore moins les yeux clairs qui le fixaient. Un drôle de regard : comme encore perdu dans le plaisir de la violence et la question de savoir qui était Manuel. Il ne put s'empêcher de saluer, regrettant immédiatement la faiblesse qui lui avait fait craindre qu'un tel homme ait pu le prendre pour son ennemi. Homme qui fut rapidement rejoint par quelques autres du même acabit, dont un colosse riant encore de la frousse et des douleurs qu'il venait d'infliger, balançant sa masse d'arme ou la caressant comme s'il s'agissait de son instrument de musique. La bataille était finie et nul doute quant à l'identité des vainqueurs.

Fin de cette succession d'étrangetés ? Que nenni. Ce ne fut que lorsqu'il fut arrivé à leur hauteur que Manuel réalisa l'arrivée d'un "pèlerin" d'un genre qu'il n'avait encore jamais vu. Le cheval aussi noir que la pelisse qui le recouvrait, le visage aussi angélique que son expression était dure et ses yeux sans vie. Hosionyme aurait juré, au respect évident que tous les Italiens lui montraient, et l'homme au cheval pommelé le premier, que l'Aveugle était à la tête de la troupe bien qu'il n'ait pas pris part à ce qui avait plus ressemblé à une tuerie en bonne et due forme qu'à un véritable combat.
Il s'était trompé. Bien que Loukas fit preuve de beaucoup de révérence à l'égard du non-voyant, ce fut à un autre qu'il s'adressa principalement pour accueillir les Vénitiens. Cet autre étant le cavalier au destrier pommelé. Gabriele Palermino. Et à ce moment là, sans la moindre mauvaise foi, Manuel était certain de ne jamais pouvoir apprécier ce jeune homme ni aucun de ses compagnons, dont certains n'ôtaient pas leur protection de tête, si bien que leurs visages restaient invisibles. Non ils ne pouvaient aimer qui prenaient tant de jouissance à prendre la vie, brisant ainsi avec trop de joie, l'un des dix commandements.
Là encore il s'était trompé. Le Vénitien seigneuriait trop peu, riait trop, était tant curieux de Constantinople ville natale et adorée d'Hosionyme, et tant plein de culture et de la souvenances de ses propres voyages, au nombre laissant songeur, que le Grec avait fini par considérer Gabriele comme un ami malgré des défauts nombreux, grands et qui plus est, comble du mauvais goût, trop assumés. Au lieu de continuer de lui inspirer le dégoût, le mépris ou la détestation, ces travers ne lui inspiraient plus que l'envie de les extirper, d'arriver à convaincre le jeune homme de se convertir à une vie plus droite, plus juste et plus pure. En pure perte.

Manuel se rendit soudainement compte qu'il avait cessé de lire, plongé dans des remembrances déjà vieilles de trop d'années.


Et de même pour le jeune chevalier Nordman qui vous a porté cette lettre ainsi que ses hommes. Que la jeunesse du premier ne vous fasse pas douter de lui car il est de ces esprits éclairés que vous affectionnez, généreux comme vous l’attendez d’un Chrétien et prompt à défendre qui est dans le besoin. Mais il est pétri de certaines idées chevaleresques qui, je le crains, pourrait lui porter tort sans mentor pour lui indiquer les embûches à éviter. Pour ce qui est des soudoyers, je devine que leur apparence vous parle d’elle-même, vous saurez reconnaître en eux de rudes batailleurs ayant déjà guerroyé dans les osts de nos Rois Chrétiens.

Le grec leva les yeux vers les nouveaux venus, sans pitié visible dans ses prunelles pour la fatigue qu'ils affichaient. Autant qu'il pouvait en juger présentement, ils avaient bien l'air de guerriers de qualité, même le jeunot. Il avait de toute façon fiance dans le jugement de Gabriele, en ce domaine-là du moins. Et Dieu savait qu'ils avaient bien besoin d'hommes solides et forts par les temps qui couraient.


Sachez prendre grand soin de vous, Manuel et que Dieu vous garde, avec toute mon amitié,




Gabriele Palermino,
Palazzo Volturri in il Serenissima, Respublica Venetiis



Là n'était pourtant pas la fin de la lettre. Un dernier parchemin se trouvait à lire, visiblement ajouté au reste au dernier moment, éveillant d'autant plus la surprise.


Je crains de ne pas en avoir pleinement fini :
Je ne doute pas que vous reconnaissiez Guy et devine aisément la surprise qui est la vôtre de le voir avoir à quitter le service de notre famille vénitienne, car vous fûtes témoin de sa grande fidélité à notre endroit. Vous connaissez cependant les dangers qui planent sur la tête des mal-nés qui ont déplu à plus puissant qu’eux. La cause de sa fuite, puisqu’il faut bien appeler les choses par leur nom, vient d’un marmouset de nos rangs, qui ne souffrit pas de voir son orgueil blessé par l’expérience d’un plus vieux que lui. Je puis vous assurer en mon âme et conscience qu'aucune faute ne fût commise si ce n'est un manque de diplomatie qu'on ne demande pas à des soldats. Sous mes ordres et ceux de mon prédécesseur, Guy obéit toujours comme il se doit. Notre homme étant du peuple et le béjaune de la noblesse, il vous sera aisé de comprendre le péril où il s’est trouvé. Je suis le premier à estimer nécessaire de respecter les règles, et à éviter de faire jurisprudence qui pourrait inspirer à mal certains esprits, mais le Seigneur ne nous a-t-il pas donné la conscience pour savoir reconnaître les cas où il nous faut savoir jouer de doigté ? Aussi en les murs de notre Sérénissime est-il considéré comme mort et exécuté. Il vous transmettra les détails de sa mésaventure si vous le jugez nécessaire. Car, du reste, vous n’ignorez pas sa valeur tant l’arme que l’outil à la main. Vous avez pu en juger autant lors de notre rencontre houleuse de par l’attaque de ces malandrins qui écument toujours les routes, que lorsque vous avez eu besoin de l’aide d’un charpentier. Et pour finir je souhaite vous faire part de mon désir qu'il s'acquitte pour moi d'une mission délicate. Je vous regracie donc par avance de le bien vouloir libérer de ses obligations par devers vous lorsqu'il vous le demandera. Si le succès couronnait cette entreprise, sa grâce pourrait lui être accordée. Or je vous sais épris de justice et ai donc toute fiance en vos décisions.
Avec tous mes humbles remerciements, Manuel, et Dieu fasse que je puisse vous regracier autrement que par des mots.



Le Grec resta un moment le regard perdu dans le jeu de la flamme, digérant la lettre de son entièreté avant d'observer le colosse dont la masse était dissimulée dans l'ombre du coin où il se tenait. On était loin du rire tonitruant de leur première rencontre. La face était sombre, le regard ailleurs et fermé, la mâchoire serrée. De toutes évidences, fuir ne lui avait pas plu. Cela rassura Manuel de ne point trouver de soulagement sur cette face. Sinon en dépit des mots de Gabriele, il n'aurait pas accepté cet homme qu'il aurait considéré comme faux et incapable de reconnaître sa place et sa chance aussi facilement qu'il reconnaissait ses désirs et déboires. Le chevalier décida donc d'accorder à tous le gîte et le couvert, et le sommeil surtout. Il faudrait paroler, certes, et avec plus d'un. Mais pour cette nuit, il épargnerait à ses hôtes à la moindre question.
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