« Irina, je retrouve plus mes pantouuuuuuuuufles ! »

Les petits pieds potelés faisaient Pocpocpocpoc contre les marches, tandis qu'Elijah descendait avec empressement, le regard sur le qui-vive à la recherche des pantoufles fugueuses. Irina était en train de faire les poussières à l'aide d'un plumeau. C'était une Cracmol anglo-russe qui était entrée au service de la famille pendant la grossesse de Mrs Darcy, en vue d'être nourrice du nouveau-né. Elle devait beaucoup aux Darcy qui, en l'engageant, lui évitaient les visites du service de l'immigration. Irina était la seconde bonne à tout faire à opérer dans la maison. Les parents Darcy n'étaient pas les plus présents du monde ou les plus attentifs, sans pour autant être absents de a vie de leur progéniture. Ils étaient juste fortement occupés, Mr avec son industrie florissante et Mrs avec son emploi de créatrice dans une agence de robes de mariage pour sorcières. S'ils voulaient que leurs enfants grandissent de manière plus ou moins correcte sans avoir à s'en occuper 24 heures sur 24, les gouvernantes étaient la solution idéale. On les engageait dès que les héritiers Darcy étaient sevrés du lait maternel (dès que les congés maternité de Mrs prenaient fin en d'autres termes) et par la suite, lorsque l'enfant montrait une certaine indépendance vis-à-vis de la nourrice, dans le meilleur des cas on la gardait pour le ménage ou le préceptorat si elle en avait les compétences, ou on la renvoyait bonnement et simplement. Parfois, cela dépendait de la réussite dans l'éducation de l'enfant assigné. La première, Gretchen, ayant été congédiée lorsque l'on estima que June n'avait plus besoin d'être maternée. En effet, la bonne n'était pas une lumière et on la jugea inapte de se montrer pus efficace. En outre, elle était sûrement partie avec un grand soulagement, la grande soeur d'Elijah n'était pas d'une nature calme et posée, tenant plus de la tornade blanche que de la plante silencieuse. Irina, elle, espérait qu'Elijah aie encore besoin d'elle un bon moment, guère désireuse de rechercher un autre emploi, mais le fait qu'il vienne la trouver en geignant était plutôt bon signe.

« Où tu les as vues la dernière fois ? »

Irina n'était pas censée tutoyer Elijah, pas en présence de ses parents en tout cas, mais elle faisait souvent entorse à cette règle lorsqu'ils étaient seuls tous les deux. Elle trouvait cela ridicule d'être aussi maniérée avec un tout petit garçon qui vous connaissait plus que sa propre mère. Mais quand le couple Darcy était dans les parages, elle prenait sur elle pour employer le "vous", ce qui faisait rire Elijah et donnait lieu à des réprimandes telles que "Elijah, soyez moins frivole." ou "Irina, calmez-le je vous prie, il n'est pas réceptif.". Autant dire que l'enfant ne comprenait rien à ces remarques (pour lui, réceptif c'était un poste de joueur au baseball, sport qu'Irina lui montrait parfois en secret à la télévision et frivole, c'était un fruit rouge) et c'était les compétences d'irina qui étaient remises en question, ce qui rendait Elijah triste et coupable. Ses parents n'étaient pas méchants, surtout pas sa mère, une des femmes les plus douces que le monde portait. Pour habiller les femmes pour le plus beau jour de leur vie, il fallait en effet faire montre d'un caractère avenant pour attirer les clientes, pointu pour les conseiller, créatif pour faire des merveilles, rassurant et doux pour apaiser la peur qui peut parfois attaquer les clientes. Evidemment tout cela combiné ne pouvait donner qu'un caractère ô combien positif, dont Elijah n'avait cependant pas totalement hérité. Il était tout juste calme -à côté de ça soeur, il aurait été difficile de dire le contraire- mais la comparaison s'arrêtait là. Son père quant à lui était froid, sec, à cheval sur les bonnes manières, et l'on pouvait se demander comme une femme comme Mrs Darcy avait pu tomber sous le charme de cet homme. L'inverse était aisément compréhensible, mais dans ce sens-là, on pouvait se poser des questions. Mrs Darcy n'était pas ce genre de femme vénale (juste vélane) qui épousait des hommes pour dilapider leur fortune en chaussures, parures, toilettes et bijoux et elle n'était pas issue d'un milieu favorable à l'élaboration des mariages arrangés. L'amour a ses mystères et le coeur ses raisons... Peut-être que Mr Darcy était totalement différent en tête-à-tête avec sa femme. Peut-être même que c'est elle qui menait la danse et portait la culotte dans le couple ?
En fait, Elijah tirait un caractère complètement opposé à celui de ses parents, plus proche de celui de sa soeur en fait -en atténué. Casse-cou, téméraire, inconscient parfois même.

« Bah hier soir, près de mon lit ! »

« Va prendre ton petit-déjeuner dans la cuisine, je vais les chercher. »

C'était sûrement un coup de June Hurricane. Elle n'était jamais à la près d'une farce à l'encontre de son petit frère. Elijah se précipita dans la cuisine, se rendant seulement compte à quel point la faim lui tiraillait le ventre.  Il s'assit sur une chaise qu'il dût au préalable escalader, pour dominer la table. Il avisa une assiette couverte d'une serviette en papier avec son nom écrit dessus. Il la souleva et eut un large sourire. Un sandwich au thon ! Ce menu était particulier pour petit-déjeuner, surtout dans une maison comme celle des Darcy, mais le thon était le point faible d'Elijah. Il pouvait en manger à chaque repas si irina lui permettait...en plus, elle lui permettait tout le temps, ce qui avait permis à l'instauration d'une affection particulière de l'enfant pour sa nourrice. Le week-end par contre, ses parents restaient à la maison le matin, et il était contraint de mettre autre chose sur ses tartines. Comme...du beurre pour accompagner son lard frit et ses oeufs mimosa.
Il entama à pleines dents la tranche de pain blanc. Irina lui en avait préparé six, superposées deux par deux et séparées par une appétissante et généreuse couche de son péché mignon. Il allait commencer le deuxième sandwich quand Irina fit irruption en catastrophe dans la cuisine.

« Monsieur Votre Père remonte l'allée ! »

La voilà qui commençait à se ré-habituer à vouvoyez Elijah. Elle était visiblement paniquée, et c'était compréhensible. De un, Mr Darcy n'aimait pas cette addiction pour le thon qu'avait son fils. C'était l'aliment qu'il débectait le plus, il haïssait son goût et sa texture. Mais le pire restait l'odeur. Il était capable de la détecter de façon presque surhumaine. De deux, il n'était pas tendre avec Irina. Il estimait son enseignement trop simpliste parfois, axé vers certains points au détriment d'autres, que Mr Darcy jugeait plus importants. De fait, il n'hésitait pas de donner certaines leçons, tant à Elijah qu'à Irina, au grand malheur des deux. C'était un homme bien trop peu pédagogue.
Irina eut alors un geste digne de dessin animé. Elle ouvrit la fenêtre et y jeta les tartines au thon, ce qu'Elijah trouva blasphématoire, même s'il comprenait la situation. Elle éventra alors un sachet de biscuit, remplit un verre de lait et les posa devant Elijah (tout ça en quelques instants, jamais Elijah ne l'avait vue aussi rapide et prolixe). Ensuite, elle farfouilla dans la poche de son tablier -seul objet qu'elle possédait influencé par la magie et ici, d'un sort d'extension, jeté par Mrs Darcy- et en sortit un petit flacon de parfum, qu'Elijah n'avait jamais vu. Il s'étonna qu'Irina puisse s'offrir de tels luxes... La nounou en vaporisa le contenu dans l'air ambiant afin de faire disparaitre les relents de thon. Si seulement elle avait des pouvoirs, cela aurait été beaucoup plus facile.
Le temps d'une dernière vaporisation, la porte s'ouvrit, révélant un Mr Darcy qui avait grise mine, ce qui n'était pas inquiétant dans son cas. Le jour où il aurait des couleurs, là on s'interrogerait. Elijah ne l'avait pas souvent vu radieux, mis-à-part sur une photographie datant du mariage de ses parents. Il dit sans préambule ni salutation:

« Ca sent le... le... hum...non, la... Mandarine, la rose bulgare et la rose turque, l'ambre, la vanille... et... »

Il leva un doigt en l'air comme s'il s'agissait d'un capteur d'odeur.

« Patchouli. »

Il annonça ce mot comme s'il s'agissait là d'une victoire. Au moins, il n'avait pas senti le thon. Elijah eut une pensée pour son ancien petit-déjeuner condamné à pourrir dans un parterre de fleurs, grignoté par les mouches et les fourmis.
Mr Darcy avait un flair hors-norme. Il avait débuté comme nez dans une petite agence avant de se lancer dans sa propre Maison. C'était une toute petite boutique à l'origine, mais ses senteurs uniques et originales ont eu vite fait de la rendre célèbre. Depuis, la boutique s'était développée et multipliée, d'abord dans toute l'Angleterre, puis en outre-Manche. Darcy était le centre de cette toile d'araignée, tout passait par lui et il sentait toutes les nouvelles eaux, sans exception, même s'il n'avait plus de temps pour la création. Mais ses connaissances ne se tarissaient pas, et il était même incollable en fragrances moldues.
Mr Darcy jaugea le frugal petit-déjeuner de son fils.

« C'est tout ? »

« Oui, Monsieur Votre Fils n'était pas très en appétit ce matin. »

Monsieur Votre Fils était une expression qui sonnait incroyablement faux dans les oreilles d'Elijah, mais il saluait la capacité d'Irina de retomber sur ses pattes. Mr Darcy grogna en signe d'assentiment. 

« Bien. Et quelle sont les leçons allez-vous donner aujourd'hui ? »

Il avait pris une tasse dans une armoire et celle-ci se remplit d'un café fumant.

« Pour cette matinée, je comptais continuer notre leçon de conjugaison. Et pour cette après-midi, j'ai prévu des mathématiques. Calcul sur les fractions. »

Mr Darcy trempa ses lèvres dans sa boisson chaude, après avoir humé l'arôme qui s'en dégageait. Une ou deux gouttes perlaient sur sa moustache en brosse qu'il eut vite fait de nettoyer.

« Irina, Irina, Irina... Combien de temps encore vais-je devoir vous répéter que la conjugaison et les fractions, c'est bien beau, certes, mais ça ne forme en rien ce petit esprit qu'est celui de mon fils. Il va bientôt faire son entrée dans le monde des sorciers, puisse le Ciel m'épargner un Cracmol de fils, désolé Irina. Vu votre statut, je pense que je serai plus apte à enseigner la supériorité sorcière, le rôle que nous avons à jouer, en raison de notre rang supérieur, à mon fils. Vous comprenez donc que vous n'allez pas tarder à rendre votre tablier. »

Stupeur dans la cuisine, tant chez Elijah que chez sa nourrice. Mr Darcy, si le chauvinisme existait envers la communauté sorcier, était patriote à l'extrême. Il ne manquait jamais une seconde pour faire un petit discours anti-moldu, que ne remportait jamais les suffrages de son audience.
Elijah se sentit bouillonner, le bout de ses doigts devinrent incandescents, laissant ses empreintes digitales dans le bois de la table. Qui sait ce qui aurait pu advenir du meuble sans l'intervention de Mrs Darcy.
Elle ouvrit la porte et la pièce devient plus silencieuse qu'elle ne l'était déjà, comme si le silence lui-même s'était tu. Elle avait une aura apaisante, mais en même temps pleine d'assurance, ce qui laissait penser que quiconque brisait ce silence instauré commettait un grave délit et se présentait à une sentence ferme et douce à la fois. Elle avait toujours le regard un peu désolé, comme si elle ne voulait pas interrompre les scènes qui se jouaient sous ses yeux, mais en même temps on pouvait y lire une certaine malice, comme si elle était en fait là pour une raison bien précise.
Tous les regards, comme à leur habitude quand Mrs Darcy arrivait quelque part, convergèrent vers elle. Elle resta un moment sans bouger (pour maintenir son effet ? pour analyser la situation ?) puis ouvrit la bouche.

« Irina mérite sa place ici. »

Elijah imagina sa mère derrière la porte, en train d'écouter la conversation depuis plusieurs minutes et évaluant le moment opportun pour entrer. C'était plutôt cocasse.
Dans le couple, contrairement à toute attente, Mrs Darcy semblait porter la culotte, sans être castratrice pour autant. Aucune trace de "Je pense" ou de "Peut-être" dans ses phrases. Derrière sa voix suave se cachait une forme d'autorité qui ne tolérait ni le doute, ni la contradiction. Et ne demandait pas l'avis d'autrui. D'ailleurs, quand elle le faisait, l'avis général se ralliait très fréquemment au sien.
Mr Darcy semblait ne plus savoir où se mettre. Il était le genre d'hommes à ne jamais revenir sur ses décisions (donc, selon l'adage, il est idiot).

« Et... et bien certes, Irina restera. Mmh... Pourquoi donc cette fenêtre est-elle ouverte ? »

Il changeait sûrement de sujet pour masquer son malaise, mais Elijah frémit en voyant son père (et son nez surpuissant) s'approcher de la fenêtre, et donc du thon gaspillé.
Il s'arrêta d'ailleurs dans son mouvement et huma l'air.


« Bizarre, ça sent le... Non. Rien. »

Il jeta un regard éloquent à son fils et partit en abandonnant sa tasse sale dans l'évier.
L'accident était clos et on ne reparla plus jamais du thon jeté par la fenêtre ou de la légitimité d'Irina à servir la famille. Mais Elijah ne put plus jamais petit-déjeuner avec du thon.


Ses parents craignaient et le décevaient énormément. C'était sa première journée à Poudlard, sa vie allait changer du tout au tout... et ils n'étaient même pas là pour le soutenir et l'épauler. Seule Irina était restée, mais ce n'était pas pareil. Elle était payée pour ça, quel que soit l'affection qu'elle avait pour le garçon. Cela lui faisait une drôle d'impression à l'idée qu'Irina ne lui donnerait jamais plus cours. Elle lui avait néanmoins glissé discrètement une boîte de thon en conserve, sauce au citron; se doutant bien que ce n'était pas le genre de collation qu'on vendait à bord.

Il était un des premiers élèves à être arrivé sur le quai, mais cela le réjouissait. Au moins, il pourrait choisir n'importe quel compartiment, sans crainte de ne pas trouver de places ou de tomber sur des occupants étranges. Il n'avait pas envie d'être trop à l'arrière, où l'on stockait les animaux (drôle de mot qu'est "stocker" pour parler d'êtres vivants, mais tant pis) et où, par conséquent, l'air n'était pas vraiment agréablement parfumé. Du moins, c'est ce que disait la légende. Mais Elijah n'avait pas envie de prendre des risques qu'il pouvait aisément éviter. Cependant, il ne voulait pas être à l'avant et le milieu devait être une zone d'influence. Il opta donc pour un compartiment situé dans un des derniers wagons, dans lequel l'air était respirable et ne sentait pas les bêtes.
Une fois l'heure pile du départ atteinte, le train s'ébranla dans un crissement.
Elijah se leva pour faire signe à Irina avant de se rappeler qu'elle n'avait pas pu franchir le mur de la voie et regretta finalement un peu l'absence de ses parents, puis retourna s'asseoir. Il était tout seul. C'était étrange, d'ailleurs. Il s'imaginait qu'avec le nombre d'élèves, le train serait rempli, mais apparemment ce n'était pas le cas. Il se renifla néanmoins les aisselles pour voir s'il ne puait pas non plus le fauve. Peut-être que son odeur corporelle éloignait les autres ? Mais il ne sentit rien. C'est ce moment que choisit un garçon pour entrer. Il n'était pas très bien habillé, en comparaison à Elijah (qui, pour tuer le temps, avait déjà revêtu sa robe de sorcier). Il avait un T-shirt qui avait visiblement beaucoup vécu et un pantalon trop court qui dévoilait ses chaussettes. Cependant, ce n'est pas ça qui attira l'attention d'Elijah. Il était captivé par la baguette d'un noir intense qui dépassait de la poche du garçon. Il en avait rarement vu une aussi belle. Le garçon le salue discrètement, presque en fixant ses yeux. Trop heureux de pouvoir enfin parler à quelqu'un de son âge et de sa condition de sorcier, Elijah l'apostropha au contraire avec beaucoup d'entrain.

« Salut, j’m’appelle Elijah ! J’peux voir ta baguette, elle a l’air trop trop trop belle ! C’est quoi ton nom, à toi ? »

Quelques minutes plus tard, les deux garçons s'étaient lancés dans un débat passionné pour comparer leurs baguettes. A cet âge-là, il ne suffisait pas de grand-chose pour se faire de nouveaux amis. Et c'est ainsi qu'Elijah se lia avec Zéphyr.


Le trajet jusqu'au château passa à une vitesse folle tant les deux garçons entretenaient des discutions diverses très animées. Elijah n'avait cependant pas osé ouvrir sa boîte de thon, se doutant que cela était une addiction assez étrange. De même, il avait tellement parlé qu'il n'aurait de toute fçon pas eu l'occasion d'ingurgiter une seule bouchée. Tant pis, il la mangerait plus tard, tout seul à l'abri des regards.
Elijah, pourtant habitué aux grands bâtiments imposants, resta bouche bée face à la prestance intrinsèque de son école, bien qu'il fit paraitre que cela ne lui faisait nu chaud ni froid. Elle ressortait dans la nuit encre grâce à toutes ses fenêtres allumées. Elijah, dans la même barque que lui, avait également l'air époustouflé. En le regardant, le jeune garçon espéra qu'il se retrouve dans la même Maison que lui. Il n'avait pas envie de se retrouver tout seul, perdu... Bien qu'il ne mettrait sans doute pas longtemps avant de s'en faire de nouveaux. Il s'était déjà beaucoup attaché à Zéphyr.

Une professeur tirée à quatre épingles les accueillit de manière très... sévère. Tout comme l'école, elle imposait le respect. Pas étonnant que c'était elle qui était chargée d'escorter les élèves. Elle leur expliqua un peu comment l'école fonctionnait, mais ce n'était rien de vraiment surprenant, avant de les faire pénétrer dans la Grande Salle.
Entrer dans cette salle gigantesque avec les élèves aînés qui vous fixaient comme si vous étiez des animaux livrés en pâture ou en cage n'avait rien de plaisant. Du moins, durant les premières secondes. Après, il devait s'avouer que faire partie du centre de l'attention était plutôt plaisant. Il avait envie de connaître tous ces gens, de leur parler. Il entama de ce fait la conversation avec les premières années les plus proches de lui.
La professeur ridée (qui avait un nom bizarre) lui fit de grands yeux noirs, mais Elijah la nia et continua de faire causette, sans vraiment réaliser que le groupe avait déjà atteint le fond de la salle, près d'un tabouret posé sur une estrade et sur lequel reposait un vieux chapeau tout rapiécé.

« ... Tu trouves ça croyable, toi ?! »

Un grand silence ponctua la fin de la phrase d'Elijah à son voisin direct. Personne ne savait de quoi il parlait, mais tout le monde semblait outré qu'un élève même pas réparti puisse déjà se faire remarquer de la sorte. Là, McOnalagalle (ça lui revenait maintenant, comme elle s'appelait) éructa et lui cria dessus. Enfin non. Elle ne cria pas. Elle parlait si sèchement qu'on aurait dit qu'elle avait haussé le ton de manière démesurée. Elijah se résigna à se taire en baragouinant des insultes sur les vieilles chouettes.

Plusieurs élèves inconnus passèrent et furent répartis un peu partout. Puis, ce fut le tour de Zéphyr, qui fut réparti à Gryffondor. Zéphyr voulait donc rejoindre cette même Maison, même si c'était celle dirigée par la vieille peau psychorigide.

« Elijah Darcy. »

Lorsqu'il s'avança, McOnalagalle haussa les sourcils d'un air inquisiteur. Elijah la regarda avec un sourire insolent, l'air de dire "Retenez bien ce nom, vous allez souvent devoir l'utiliser". Il s'en fichait de toutes ces choses sur la Coupe des Maisons. Ils étaient suffisamment assez dans chaque pour que les autres élèves compensent ses écarts.
Il s'assit sur le tabouret (très inconfortable, d'ailleurs. Ils auraient pu mettre un coussin au moins) et on posa le Choixpeau sur sa tête, et celui-ci hurla à tue-tête "GRYFFONDOR".
Yeah, il était dans la même Maison que Zéphyr ! Il courut s'asseoir à ses côtés, pour lui glisser, en portant un toast avec son verre de jus de citrouille.

« A ces 7 années qui promettent d'être riches en surprises ! »

Lorsque le banquet débuta, il se rua sur le plat de thon et, la bouche pleine, avoua à son nouvel ami cette étonnante passion.


Elijah et Zéphyr, suivis par un petit attroupement, marchaient en tête, le menton levé comme s'ils étaient des souverains. Ils pouvaient d'ailleurs se comparer comme tel, comme les rois de Gryffondor. Ils franchirent le seuil de la porte dissimulée par la Grosse Dame. Sirius et James, deux élèves plus jeunes qu'ils avaient pris sous leur aile, étaient tout heureux de cette première victoire. James Potter était l'attrapeur de l'équipe. Plus que cela, même. Il était un artiste, lorsqu'il volait. Il maitrisait cet art à la perfection, ce qui permettait l'élaboration de stratégies moins amatrices.

Gryffondor avait remporté le match décisif contre Serpentard. Ils avaient gagné la Coupe de Quidditch (à défaut d'avoir celle des Quatre Maisons, mais Elijah ne pouvait s'en prendre qu'à lui), qu'Elijah brandissait fièrement, en sa qualité de Capitaine. Tout le monde n'avait plus que ça en bouche : la victoire de la Maison, grâce aux prodiges du balai volant qui avaient fait rêver la foule avec ce score incroyable de 370 contre 30. Elijah était un poursuiveur comme les autres, mais avec Zéphyr comme partenaire, il pétait des flammes. Sans doute que personne d'autre ne comprenait la logique de leurs passes. Ils avaient une manière étrange de jouer ensemble, qu'ils avaient instaurée instinctivement et qui, visiblement, faisait ses preuves.

Zéphyr était monté sur une table avec une bouteille de champagne et prononça cette éloge :

« Je propose qu’on lève tous notre verre à notre Capitaine, Elijah Darcy. C’est grâce à lui, et à notre union, que nous avons gagné ce soir ! »

Il fit exploser le bouchon, qui vola dans la pièce et ce signal déclencha une pure crise d'hystérie. Tout le monde criait, en liesse. Certaines filles moins farouches leur lançaient leur soutien-gorge. Le champagne coula abondamment du goulot dans un torrent de mousse et l'équipe des Gryffons se battaient pour en boire le contenu. Des plateaux débordant de toast au thon (l'en-cas porte-bonheur de l'équipe) flottaient à travers toute la salle et subissaient les assauts de mains gourmandes.
Elijah vit son meilleur ami lui adresser un clin d'oeil. Il leva une deuxième bouteille de champagne. Zéphyr et lui étaient réputés pour mettre l'ambiance et ils n'allaient pas faire de tort ce soir à leur réputation. Il hurla, pour couvrir les cris et les sons assourdissants:

« Que la fête commence ! »


Si les ASPICs s'appelaient ainsi, c'était sûrement parce que c'était une épreuve quasi mortelle... pour les nerfs.
Sa plume était soumise à rude épreuve, tout comme son parchemin. Il raturait plus qu'il ne fallait en synthétisant ses cours. Il était pas vraiment doué pour retenir les cours tels quels, et préférait les schémas et les textes raccourcis. Si jamais une question sur un détail apparaissait dans l'examen, il inventait une réponse très détaillée dans l'espoir de grappiller des points. Il n'avait jamais été vraiment très scolaire et s'en tirait chaque fois avec des notes très moyennes. Il n'allait sûrement pas avoir un seul optimal, sauf en sortilèges peut-être. C'était vaguement sa matière préférée. Il aimait pas l'école en général, à par pour les potes.
Pourtant, il avait pris de nombreuses heures de cours supplémentaires auprès d'un jeune Serdaigle afin de limiter la casse mais, comme on dit, "chassez le naturel et il revient au galop". Autant dire qu'au fur et à mesure de ses examens, Elijah voyait ses chances de réussite s'amenuiser. Il espérait s'en sortir au moins avec un Effort Exceptionnel partout, ou à la rigueur des Acceptables.

Il s'énervait tout seul sur son parchemin, qu'il perfora. Il retint de crier un juron et enfonça un filet de thon aux aromates directement dans sa bouche. C'est comme ça qu'il étudiait, en mangeant quand ça n'allait pas. La dizaine de carcasses métalliques éventrées prouvait bien qu'il était en fâcheux état.
Il était sous pression, ces derniers temps. Son père passait son temps à lui rappeler quelles responsabilités il lui incomberait plus tard lorsqu'il héritera de son entreprise gigantesque, comme s'il n'était déjà pas assez stressé avec ses révisions intensives, le pire étant l'Histoire de la Magie (on ne fait pas plus barbant). Et en plus de cela, il n'arrivait pas à préparer la potion de Mort-Vivante correctement pour son examen pratique de potion.
L'horloge sonna douze coups. Elijah n'était même pas à la moitié du cours qu'il avait prévu de revoir. Il avait déjà la tête comme un seau et ne retenait déjà presque plus rien. Il donnerait tout, son poste de Capitaine, l'Empire de son père, pour avoir la garantie de réussir ses ASPICs. Zéphyr, lui, semblait avoir trop facile. Non. Il avait trop facile. Il l'aidait un peu pour ses révisions, mais aujourd'hui, il semblait avoir préféré gagner son lit douillet. Zéphyr était trop parfait. Il suivait n'importe quel cours avec facilité, alors qu'Elijah n'avait pris aucune option. Mais en même temps, il avait pleins d'amis (Depuis quand les intellos était populaire ? Depuis Zéphyr Aït-Malek, probablement), un don irréfutable pour le Quidditch et un comportement un brin meilleur que celui de son meilleur ami. La rumeur prétend qu'il avait failli être nommé préfet, chance qui lui passa sous le nez suite à une connerie orchestrée par Elijah dans lequel il avait été impliqué. Il s'était sentit presque coupable.
Il voulut renverser son encrier sur son parchemin, y mettre le feu, tout détruire. Toute cette merde l'énervait au plus haut point. Il était tellement à cran qu'il faillit mordre par réflexe la main qui s'était posée brusquement sur son épaule. C'était Zéphyr.

« Hé gars, me fait pas ta tête de furie, j’suis là pour t’aider ! Meta, c’est ça ? »

En effet, il galérait pour étudier le cours de Métamorphoses. Pourtant, ce n'était pas la matière qui lui donnait le plus de difficultés. Il aurait peut-être plus facile si l'enseignante ne lui cherchait pas toujours les poux. Il serait au moins peut-être un peu plus motivé. Après tout, on peut faire des tonnes de choses amusantes grâce à cette catégorie de sorts.

Elijah respira profondément. Il devait être hideux. Le sang de Vélane qui coulait dans ses veines avait comme propriété de lui donner les yeux rouges, voire presque un visage de rapace, lorsqu'il s'énervait. Et, heureusement, ça n'arrivait pas beaucoup. Il était plutôt paisible comme garçon. Pas tranquille, oh non. C'est juste que la plupart des choses coulaient sur lui comme sur une carapace. Les paroles des profs, par exemple. Il le regrettait, en ce moment.

« Ca fait chier Zeph’ putain, je les aurai jamais, ces ASPICs ! »

S'il avait moins de fierté, surtout face à Zéphyr, il aurait presque pu pleurer. Son ami s'affala à côté de lui et, à l'aide d'un sortilège, rendit au parchemin un aspect correct, sans dégradation.

« T’inquiète, j’suis là, et on est toujours plus fort à deux, hein ? »

Elijah n'était pas convaincu. Il n'était même pas capable d'obtenir un résultat correct lorsqu'il voulait effacer ses parchemins. Il restait toujours un résidu des anciens écrits. Cependant, il devait avouer qu'il stressait déjà moins avec Zéphyr à ses côtés. Il haussa les épaules et agita un nouveau morceau de poisson sous le nez de son ami.

« De toute façon, quoiqu'on fasse, la McGo va me rentrer dans le lard et me mettre en échec. »

Tout le monde lui disait qu'au fond, McGonagall l'appréciait... à sa façon. "Si elle te détestait à cause de ton comportement, elle ne prendrait même pas la peine de tenter de te remettre sur le droit chemin" qu'ils disaient. Il s'en foutait du droit chemin. Il voulait juste quitter cette école, même avec un succès très relatif.
Il se massa les tempes.

« Bon, Monsieur le Génie, mettons-nous au boulot. Je cale sur la transformation d'une sale peau de vache en prof indulgente. »

Il goba littéralement son poisson d'un air belliqueux.


Le paysage défilait devant eux à une vitesse fulgurante à travers la fenêtre du Poudlard Express. Elijah fit ses adieux silencieux à toutes ces vallées, qu'il ne verrait plus jamais, après 7 ans et 14 passages dans cette région. Il avait réussi, in extremis mais cela ne lui importait pas. Il n'avait pas eu de Piètre ou de Désolant (ni même de Troll, même s'il doutait de l'existence de cette note). Il avait même eu un Effort Exceptionnel en métamorphose. Il avait trouvé cela très impressionnant... avant de se rendre compte qu'il avait eu cette note à chaque examen de Métamorphose. Il avait bien eu son Optimal en Sortilèges et Enchantements, mais avant eu des Acceptables pour le reste de ses cours. Sa potion de Mort-Vivante avait sans doute sauvé son examen de potions, dans lequel il s'était planté pour la partie théorique. Etrangement, l'Histoire de la Magie ne lui avait pas posé plus de problèmes que ça, alors qu'il s'attendait à un échec cuisant. Peut-être que les professeurs ne voulaient plus le voir et, bien contents de s'en débarrasser, lui avaient fait cadeau de quelques points ? Qui sait...

Zéphyr était persuadé qu'Elijah savait quoi faire de son avenir. Oui, reprendre l'entreprise paternelle, c'était certain... mais il fallait encore attendre quelques années, voire décennies (du moins, il l'espérait). Dans l'immédiat, il ne savait pas encore comment meubler ses journées durant cette attente. Zéphyr non plus, mais lui, c'était pire. Il n'était même pas certain de trouver un toit. Elijah lui aurait bien proposé de venir habiter chez lui, mais craignait que cela soit mal vu par son père. De ce fait, il avait tu cette proposition.

Les deux garçons s'enviaient l'un et l'autre. Elijah parce qu'il désirait l'intellect de son ami et Zéphyr parce qu'il enviait cette vie prometteuse qui se dessinait sous des jours plus lumineux que la sienne. Mais quoiqu'ils fassent, ils ne pourraient jamais échanger leur rôle. On n'était pas dans une énième adaptation du conte "le Prince et le Pauvre". Ils étaient condamnés à s'accommoder chacun de leur place et de faire avec. Néanmoins, tant qu'ils seraient ensemble, à deux, cela compenserait.
Pour s'en assurer, Elijah tendit son bras à son ami, assis en face de lui.

« Hé, Zeph’, amis pour la vie hein, jure ? »

Celui-ci lui serra.

« Juré. »

« Pour sceller ce pacte et le fêter, nous allons devoir sacrifier... Ceci ! »

Elijah sortit de nulle part un de ses sempiternels filet de thon en boîte. Au vin blanc.
Marquée par cette offrande pour le moins originale (ou pas vraiment, pour peu que l'on connaisse bien Elijah), leur promesse ne se défit jamais.